L’Œil placé sous les tonalités maritimes succombe au jazz enchanteur de musiciens puisant leur inspiration dans le bruit des vagues.
Les sirènes qui envoûtent les marins, celles-là même à qui Ulysse a su résister en se faisant attacher à un mât, ces sirènes mi-femme mi-poisson dont on place des effigies à la proue des bateaux en offrande à la mer pour en apaiser les dieux – mais qui, chez Homère, sont plutôt des oiseaux –, ces sirènes-là, c’est sûr : elles chantent, elles jouent du jazz. Pourquoi, sinon, les musiciens et les musiciennes seraient-ils si attirés par l’océan, par l’eau, par la mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs ? Que dire de Claude Debussy (1862-1918), jazzman avant l’heure, et de l’œuvre symphonique que La Mer (c’est son titre tout simple) lui a inspirée, avec son deuxième mouvement « Jeux de vagues » où les flûtes et les vents, dans leur progression circulaire, imitent le balancement des vagues ? Contrebassiste de jazz fraîchement octogénaire, le Breton Henri Texier (né en 1945) s’est lui, toujours senti proche de l’eau, celle de la mer, et aussi celle des ruisseaux, dont la transparence cristalline le fascine. Cette eau, qui le régale, mais qu’il voit souillée, dilapidée, gâchée, et manquer à une partie de la planète, cette eau le préoccupe tant qu’il a signé en 2007 un album intitulé Alerte à l’eau. Elle y est « Flaque lune », « Flaque nuage » ou « Flaque étoile », car on a beau être militant, on n’en reste pas moins poète. Chez le saxophoniste Samy Thiébault (né en 1978), qui est allé enregistrer le bruit des vagues – et son dernier album In Waves au contact des « peuples de l’eau » – dans les Îles Fidji, à Cayenne, à Djakarta ou à Manille, la mer porte celui qui surfe à sa surface, lorsqu’il lâche son instrument (un saxophone, ça rouille). La batteuse Anne Paceo, enfin, pour son tout nouveau projet Atlantis convoque le « sentiment océanique » formulé par l’écrivain Romain Rolland (ça a beaucoup énervé son copain Freud), cette idée de se fondre dans un tout enveloppant, dans une émotion proche de l’extase. Faire corps et esprit avec l’eau. Oublier le temps et l’espace. S’inscrire dans sa fluidité comme dans celle de la musique, qui coule, qui tourne, qui va, qui vient, et nous engloutit tout entiers.
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Le chant jazzy des sirènes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : Le chant jazzy des sirènes