Laurent Bègue : « Sexualité : le musée distancie plus qu’un écran »

Professeur de psychologie

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 18 novembre 2014 - 719 mots

L’ŒIL Quelles répercussions des œuvres à caractère érotique ou pornographique peuvent-elle avoir sur un jeune garçon et sur une jeune fille, voire plus généralement sur un adulte ?
L. B. L’histoire de chacun entre évidemment en résonance avec l’œuvre. Il est difficile de généraliser. Chez les plus jeunes, les représentations de la sexualité sont façonnées par de multiples influences. Il a été démontré que les images ont leur place. Tandis que les médias de masse dépeignent des identités souvent stéréotypées et des morphologies statiques, l’art peut déconstruire ces tropismes. Une étude a montré, par exemple, qu’il existe une relation entre la fréquence de l’exposition à la télévision et la rapidité avec laquelle la sexualité prend sa place dans une relation affective. Le fait que la fréquentation de contenus sexuels dans les médias chez les 12-14 ans multiplie par deux la probabilité d’avoir eu des relations sexuelles à 16 ans ne signifie pas nécessairement un effet causal (même si certains travaux le suggèrent), mais peut suggérer que les personnes s’exposent sélectivement à des scènes faisant écho à leurs expériences.

Le musée modifie-t-il par son statut la perception et ses impacts ?
Le musée distancie plus qu’un écran. Il mobilise des processus d’évaluation et de raisonnement plus actifs ; il est également plus susceptible de mettre en cause l’œuvre elle-même ou le sens dont elle est porteuse. Le public est par ailleurs physiquement mobile, et cette mobilité semble autoriser un certain jeu avec l’œuvre qui n’a rien d’équivalent à la fixation statique d’un écran. La même stimulation visuelle peut produire des effets très différents en fonction de la manière dont elle est construite cognitivement par celui qui la contemple. Si l’on prend l’exemple de recherches classiques où l’on expose des enfants à des objets appétitifs (des confiseries) – il est intéressant de rappeler devant une confiserie entourée d’un cadre – l’enfant est davantage capable d’attendre et de ne pas la consommer.

Aucune restriction d’âge ne limite l’accès de Sade, seul un panneau notifie que les « œuvres présentées peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes ». Est-ce plus judicieux que l’interdiction aux moins de 18 ans d’une exposition ? 
Il peut sembler anachronique qu’aujourd’hui un musée interdise l’accès à une exposition aux mineurs à cause de contenus sexuels. C’est, en revanche, respecter les publics que d’avoir le souci d’informer sans trop de détours des contenus et de leurs effets émotionnels possibles de ce que Judy Kuriansky appelle les « sexpositions ».

Professeur de psychologie sociale à l’université Pierre Mendès-France (Grenoble) et directeur du Laboratoire interuniversitaire de psychologie « personnalité, cognition, changement », Laurent Bègue est l’auteur chez Odile Jacob de Psychologie du bien et du mal.

Le retour en France des 120 journées de Sodome

Au Musée des lettres et des manuscrits, le sous-titre de « Sade, marquis de l’ombre, prince des Lumières. L’éventail du libertinage » énonce le propos de ses auteurs Jean-Pierre Guéno et Pascal Fulacher : montrer que l’écrivain est un segment de ce mouvement qui fut un mouvement de libération des esprits avant de devenir un mouvement d’émancipation des mœurs. En cent quarante-quatre pièces issues des collections du musée, ils restituent l’œuvre dans un panorama du libertinage du XVIe jusqu’à nos jours, dans un florilège de manuscrits, lettres, poèmes autographes, éditions illustrées rares avec, au cœur du parcours, la pièce à l’origine de l’exposition : le manuscrit des 120 Journées de Sodome ou l’École du libertinage, récit entamé par Sade dans sa cellule de Vincennes en 1782 qu’il recopia en 1785 à la Bastille en 35 jours d’une écriture serrée et minuscule sur des lés de papiers de 11,2 cm de large roulés afin de pouvoir être dissimulés entre deux pierres de sa cellule. Ce récit que Sade crut avoir perdu dans l’incendie de la Bastille livre un de ses passages avec en arrière plan l’histoire rocambolesque de ce manuscrit, récupéré en 1789 par Arnoux de Saint-Maximin et volé en 1982 à sa dernière propriétaire, Nathalie de Noailles, par l’éditeur Jean Grouet. Revendu au collectionneur suisse Gérard Nordmann, ce dernier resta sourd à la demande de restitution. Après plus de trente ans de batailles juridiques et autres négociations pour faire revenir le sulfureux manuscrit de Suisse en France, son acquisition en avril 2014 par Gérard Lhéritier, président d’Aristophil et président du Musée des lettres et manuscrits, a clôturé son périple.

« Sade. Marquis de l’ombre, prince des Lumières. L’éventail des libertinages du XVIe au XXe siècle »

Jusqu’au 18 janvier 2015. Institut des lettres et manuscrits, 21, rue de l’Université, Paris-7e. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 19 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h 30. Tarif : 5 €. Commissaires : Pascal Fulacher et Jean-Pierre Guéno. www.museedeslettres.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Laurent Bègue : « Sexualité : le musée distancie plus qu’un écran »

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque