A la source du Romantisme

Un éclairant essai de Pierre Wat

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 10 avril 1998 - 487 mots

En dépit des études importantes qui lui ont été consacrées, le Romantisme reste en France parasité par d’innombrables clichés. L’essai de Pierre Wat vise entre autres objectifs à s’en défaire, et accorde une large place à la théorie de l’art développée en Allemagne et en Angleterre.

Peut-on seulement définir le Romantisme ? Les meilleurs spécialistes de la question ont pour la plu­part répondu par la négative, cer­tains, comme Philippe Lacoue-La­bar­the et Jean-Luc Nancy, faisant même de cette impossibilité le véritable départ de leur réflexion. Face à cette difficulté, Pierre Wat choisit d’emblée, dans une thèse de doctorat métamorphosée en essai, d’appréhender le Roman­tisme comme autocritique de la modernité, “comme stratégie de subversion”, et de concentrer son analyse sur la théorie de l’imitation développée en Allemagne et en Angleterre. Cette focale lui permet à la fois de saisir le rapport de ces artistes et écrivains au Néoclassicisme et d’envisager les glissements significatifs qu’ils opèrent.

Un projet inachevé
Peintres, mais rêvant d’art total, accompagnant leurs œuvres de longues et décisives réflexions, William Blake, Carl Gustav Carus, John Constable, Caspar David Friedrich, Philipp Otto Runge et Joseph M.W. Turner sont les six figures cardinales à partir desquelles procède l’étude, multipliant les points de passage entre les œuvres et la théorie. Attentifs aux progrès des sciences, les peintres romantiques n’en sont jamais les dupes, et construisent au contraire avec elles un rapport d’autant plus complexe que Dieu ne se trouve jamais exilé de leur pensée, qu’il en est même le principal objet, et que l’expérience picturale est, en dernier ressort, le lieu où observation et intuition viennent se croiser. La question de la nature, en particulier sous les espèces du paysage, occupe évidemment une place centrale dans l’élaboration de la vision romantique qui s’insurge implicitement contre le matérialisme.

“Les artistes romantiques, écrit l’auteur, Blake y compris, vont élaborer un processus de symbolisation à partir de l’observation empirique.” Cette posture vis-à-vis du monde, qu’ils partagent tous, met à mal la taxinomie habituelle qui rangerait par exemple d’un côté les naturalistes (Constable) et de l’autre les visionnaires (Blake). On voit par là que, sans doute, les problèmes de définitions initiaux ne se résorbent pas, mais deviennent les vecteurs d’une autre vision de la création artistique. Même si le Romantisme est à l’évidence un projet inachevé, d’emblée conçu dans le fragment, le système analogique qui prévaut ouvre en réalité la voie à des ambitions démesurées. Et pour assouvir celles-ci, les artistes se préparent à l’échec et ne craignent d’affronter ni le rien ni l’infini. Si Pierre Wat traque les suites du Romantisme jusque dans le dandysme, il va de soi que l’actualité de ce moment capital de la modernité ne fait aucun doute. “Quand je donne au banal un sens élevé, écrivait Novalis, à l’ordinaire un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini une lumière d’infini, je le romantise.”

Pierre Wat, Naissance de l’art romantique, Flammarion, 160 p., 175 F. ISBN 2-08-010785-2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : A la source du Romantisme

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