Livre

RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE

La nuit au musée de Kaouther Adimi

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 2 octobre 2025 - 553 mots

L’autrice franco-algérienne entremêle sa jeunesse et la vie de l’artiste Baya qui a marqué pour elle le retour de la joie après la décennie noire.

Si Kaouther Adimi vit en France, « le matin, l’Algérie m’obsède », révèle-t-elle en préambule de son livre, citant Albert Camus. Née là-bas en 1986, elle est arrivée à Grenoble à quatre ans : son père devait y rédiger sa thèse et sa mère, journaliste, était correspondante pour des médias algériens. C’était le début de la décennie noire, cette période durant laquelle le Groupe islamique armé (GIA) a fait régner la terreur dans le pays. Le père était « un journaliste perdu dans l’armée ». Il s’y était engagé parce qu’on y finançait ses études, étant entendu qu’il reprendrait du service à leur issue. En 1994, par patriotisme, le couple décide de rentrer définitivement au pays avec ses quatre enfants dont un nouveau-né : le père finira d’y rédiger sa thèse et fera un voyage éclair à Grenoble pour la soutenir. C’est de l’héroïsme, à un moment où tous les intellectuels fuient, alors que même les enfants sont égorgés lorsque le GIA tombe sur des « mécréants » comme eux. Le 6 août 1994, le lendemain de son arrivée en Algérie, la famille se trouve dans une voiture sur une route coupée par un « faux barrage » dressé par le GIA. S’ils sont démasqués, ils mourront.

C’est à l’Institut du monde arabe, le 8 novembre 2022, que remonte le flot d’images de cette décennie, alors que Kaouther Adimi a accepté d’y passer la nuit pour écrire un livre sur l’artiste algérienne Baya (1931-1998) qui y fait l’objet d’une exposition. Elle la découvre en 2009, quand le pays recommence à vivre après l’horreur. Au musée d’Alger où elle se rend avec deux amies, elle est accueillie par des gardiens enthousiastes qui leur font visiter les salles. Elle y voit son « premier Picasso, offert à mes yeux par des gardiens ivres de joie, la vraie joie je veux dire, pas la joie ennemie, pas cette joie furieuse, cette joie fourbe qui vient après la guerre, celle-là même que nous avons en nous, qui nous pourrit de l’intérieur depuis maintenant vingt années, non, c’était la vraie joie […]. Plus jamais je n’éprouverai dans un musée ce que j’ai éprouvé ce jour-là, avec ces amies-là, qui resteront pour toujours celles avec qui j’ai vu Picasso, d’abord Picasso, et Baya ensuite. » Car les gardiens les amènent à « la bibliothèque réservée aux chercheurs, aux gens sérieux, complètement vide ce jour-là car les chercheurs et les gens sérieux, pour beaucoup, ont été assassinés ou ont fui, et dans cette salle si sérieuse, allez savoir pourquoi, trônent les œuvres de Baya. »

En 2018, Kaouther Adimi avait accepté de passer la nuit au Musée Picasso. Mais l’angoisse l’avait submergée et elle s’était enfuie. À l’Institut du monde arabe (IMA), elle a pu enfin sonder ce puits noir où ses souvenirs se cachaient pour initier un récit mêlant sa vie à celle de l’artiste. Une quête qui l’a amenée à prendre conscience que sa jeunesse en Algérie n’avait pas été tissée seulement de peur et de dissimulation, mais aussi de joie, et à raconter la vie simple de Baya et les mensonges qui l’ont entourée. Au prix d’une nuit blanche au musée : « À vrai dire, depuis 1994, je n’ai plus jamais vraiment dormi. »

La Joie ennemie, Kaouther Adimi,
Éditions Stock / Ma nuit au musée, 241 p., 19,90 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : La nuit au musée de Kaouther Adimi

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