la méthode cathartique de Sachiko Kanaizumi

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 24 septembre 2014 - 333 mots

JEUNESSE - À bientôt quarante ans, Sachiko Kanaizumi biberonne inlassablement l’enfant qui est en elle, portée par une énergie obsessionnelle. Avec une rigueur esthétique formelle qui n’est pas sans rappeler l’art japonais de l’ukiyo-e et une pleine conscience cathartique digne de Louise Bourgeois, l’artiste nippone réveille les spectres déboussolés de sa jeunesse, déclinés à l’envi dans un océan joyeux de tristesse ludique où navigue parfois Mark Ryden. Séduit par son dessin maîtrisé et sa force narrative, on se fraye volontiers un chemin dans sa veine psychique, tentant de trouver le sens caché de ses riches mises en scène oniriques. Et l’on comprend combien l’angoisse à l’idée de devenir adulte nourrit l’œuvre. Il s’y déploie ainsi de doux cauchemars ou de frêles jeunes filles clonées cohabitent avec d’aimables chauves-souris dans les ruines de l’imaginaire enfantin. Dans d’autres scènes où la magie le dispute parfois au malaise, la disproportion des objets et des animaux confirme le refus symbolique de grandir. Ses personnages indolents, essentiellement féminins, circulent, désœuvrés, dans ses dessins foisonnants de détails, comme pour brouiller les pistes qui mèneraient trop tôt à l’âge adulte. Retenant notre rétine avec ses revenants, Sachiko Kanaizumi invite à la contemplation mélancolique de la perte de l’innocence en exhumant poupées, peluches et autres friandises de nos goûters. Dans son cortège surréaliste, Sachiko est accompagnée d’un bestiaire digne de Lewis Caroll et de jeunes filles lascives et désenchantées, prises dans les filets de son trait fin et élégant, à mi-chemin entre John Tenniel et Hans Bellmer. Les regards hagards déambulent et aucun des protagonistes ne communique avec l’autre. La couleur, aquarellée, apporte des soubresauts d’optimisme. Dans son rapport à l’inconscient se débattent également les thèmes récurrents de la féminité naissante, de l’ennui, de la procrastination… On ne sait qui, de l’artiste qui les convoque ou de ses personnages extatiques, est le prisonnier ou le geôlier. Dans un paradoxe que seul l’art peut offrir, la maturité de Kanaizumi réside ici : survivre à ses propres démons en leur donnant un visage.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : la méthode cathartique de Sachiko Kanaizumi

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