Design

La face cachée des objets

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 736 mots

Le designer zurichois Franco Clivio propose un vaste choix d’objets intelligents, ergonomiques ou ingénieux issus de la vie quotidienne.

Depuis des années, Franco Clivio collectionne les objets. Non pas les icônes de l’histoire du design, mais, bien au contraire,  les objets de la vie quotidienne. Ce designer zurichois n’a qu’une obsession : travailler avec la trivialité comme matière, œuvrer avec l’objet presque non dessiné, bref ordinaire. Maupassant parlait, lui, de « ces petits faits insignifiants et délicieux qui forment le fond même, la trame de l’existence » (Mademoiselle Perle, 1886). « Je ne suis pas seul dans ma passion pour les produits anonymes, reconnaît Franco Clivio, Charles Eames et Achille Castiglioni, eux aussi, s’entouraient de tels objets. » Sa collection, composée de quelques centaines de pièces, se déploie au fil des pages de cet intrigant ouvrage intitulé Hidden Forms (« Formes cachées »), dont le préambule est on ne peut plus clair : « Chaque objet a sa place dans la collection parce qu’il présente une solution unique, non conventionnelle, non usuelle à un problème qui est toujours simple, mais toujours fondamental – fondamental dans le sens d’une esthétique qui concerne moins la bonne forme que la fonction parfaite. » Dont acte.

« L’infra-ordinaire »
La collection ? Un vrai inventaire à la Prévert. On y trouve des ciseaux, stylos à encre, thermomètres, marteaux, rasoirs, crochets, paires de lunettes, gants de protection, sèche-cheveux, calculatrices de poche, compas, couteaux, tire-bouchons, etc. « Des objets qui appartiennent à l’univers des “choses moyennes”, du monde de “l’infra-ordinaire’” comme l’a, un jour, appelé Georges Perec », rappelle dans un essai Tomas Maldonado, l’un des principaux théoriciens du fameux « Modèle d’Ulm » enseigné par l’école de design allemande entre les années 1950 et 1960. Franco Clivio, lui, a longtemps été le responsable du département de design industriel de la Zürcher Hochschule der Künste (ZHdK), à Zürich. Il y dispensera un exercice qui l’a rendu célèbre au sein de l’université, et peut-être au-delà : l’« Exercice à deux francs ». Il s’agissait alors pour les étudiants d’acheter un objet qu’ils considéraient comme remarquable pour une raison ou une autre, avec pour seule condition que le prix dudit objet n’excède pas deux francs suisses. La tâche fut moins facile qu’il n’y paraît, d’autant que Zurich n’a pas la réputation d’être l’une des villes les moins chères d’Europe. Quoi qu’il en soit, lors de chaque séance, une nouvelle fournée de produits plus ou moins banals était réunie et les étudiants devaient s’expliquer sur les raisons de leurs choix respectifs. Au final, Franco Clivio se livrait à une critique en règle de chaque objet, s’amusant à gratter allègrement la surface pour en dévoiler des caractéristiques insoupçonnées.

L’intelligence de l’égouttoir
Regarder et questionner les objets, telle est la méthode dont use également Franco Clivio dans le présent ouvrage. « Rendre les gens curieux est l’objectif de ce livre », énonce-
t-il. Le sous-titre est d’ailleurs suffisamment explicite : « Choses à voir et à comprendre ». Au total, ont été constituées 29 séries de pièces qui font chacune l’objet d’une histoire thématique, titrée avec humour. Exemples : « La Nature peut le faire mieux », « Simplement compréhensible », « Presque tout faux », « Pas neuf mais mieux », « Pensée aiguisée », « Coup par coup », « Pas le même mais similaire », « Pièces d’une pièce »… Loin d’être photographiés pêle-mêle, les objets sont minutieusement rassemblés par groupe et s’affichent sur de belles doubles pages, à l’instar des antiques cabinets de curiosités. Franco Clivio explique ensuite en détail « l’intelligence d’un égouttoir en bambou », à travers la manière dont le matériau a été abordé, « l’inhabituelle mais optimale ergonomie » d’un sécateur, ou encore, « l’intéressant mécanisme » d’une paire de « lunettes de sport » destinée aux motocyclistes et autres conducteurs de cabriolet. Souvent l’explication et l’image suffisent. Parfois la compréhension nécessite un dessin technique complémentaire, fait à la main. De l’artisanat à l’industrie, le lecteur découvre quantité de produits, pour la majorité issus du passé, moins par nostalgie que parce que l’on a trop vite oublié leur ingéniosité. D’un objet de prime abord anodin, Franco Clivio révèle la qualité, montre la logique technique, l’aspect innovant. Il fait comprendre toute la complexité du processus de design, avec simplicité.

FRANCO CLIVIO, HANS HANSEN ET PIERRE MENDELL, HIDDEN FORMS, éd. Birkhäuser, Bâle, 2009, 240 pages, 200 illustrations, en anglais, 34,90 euros, ISBN 978-3-7643-8966-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : La face cachée des objets

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