La Dormeuse de Naples

L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 357 mots

Pour son deuxième roman, Adrien Goetz, collaborateur à L’Œil, propose une remarquable variation autour de La Dormeuse de Naples, chef-d’œuvre d’Ingres qui faisait pendant à son Odalisque et qui fut égarée après la chute de Murat et le retour des Bourbons à Naples, en 1814. Trois récits successifs composent cette fiction. Le premier serait signé d’Ingres lui-même et retrace la conception puis la disparition de La Dormeuse à travers la relation que le grand maître entretint avec son modèle. Une relation complexe, subtile, oscillant entre une passion brûlante et le plus froid mépris. Le deuxième récit serait signé Camille Corot. L’artiste y raconte comment il put voir le tableau mythique en 1825, alors propriété d’une société secrète romaine, et décrit la puissante incidence d’une telle découverte sur son existence. Le troisième récit enfin, fruit d’un inconnu ami de Géricault et élève dans son atelier, relate le passage de La Dormeuse chez l’auteur du Radeau de la Méduse. Le cœur du texte d’Adrien Goetz, au-delà du charme romanesque du trésor perdu, est incontestablement la frontière poreuse du réel et de l’art, du vrai et de l’illusion, de l’histoire et du mythe. On a le sentiment que le fantasme, dans ses dimensions esthétiques et sexuelles, se loge précisément dans ces entre-deux, dont la forme littéraire même des cahiers retrouvés serait un avatar supplémentaire. L’auteur fait écrire à Corot : « J’ai péché pour avoir adoré une image. » Phrase clé dont on mesure les racines bibliques, bien sûr, mais surtout l’extraordinaire actualité. Car, comme dans Webcam, son premier roman paru l’an dernier, l’auteur interroge d’abord la toute-puissance de l’artifice de l’image sur la conscience et le destin de celui qui la voit ou plutôt, l’entraperçoit. Avec La Dormeuse de Naples, Adrien Goetz s’affiche comme un impressionnant styliste, tant les trois tons de son ouvrage se différencient pour s’accorder à merveille au final. Il se révèle un très habile scénariste qui combine avec jubilation ses ressorts dramatiques. Il se montre un brillant érudit dont la culture alimente sans cesse la sensibilité. Bref, il s’affirme comme un formidable écrivain.

Adrien Goetz, La Dormeuse de Naples, Le Passage, 2003, 128 p., 14 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : La Dormeuse de Naples

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque