Jean Clair, en clair-obscur

Jean Clair - Dialogue avec les morts

L’ancien directeur du Musée Picasso livre un récit intimiste sur les traces de son enfance

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 501 mots

Profession de foi de l’atrabilaire en chef Jean Clair ? Après L’Hiver de la culture (éd. Flammarion, 2011), celui qui désarçonne par ses jugements souvent péremptoires dévoile, dans un nouvel opus, quelques clefs de compréhension de sa personnalité complexe.

Non pas que Gérard Régnier, de son vrai nom, ne se plaigne d’être taxé de réactionnaire. Au contraire, il assume. Celui qui aurait voulu être écrivain – mais n’a pourtant, de son propre aveu, jamais su écrire un roman –, manie la plume avec élégance, sans jamais hésiter à la tremper dans le fiel pour exprimer ses dégoûts. Ils concernent la déshumanisation de nos sociétés, la perte de sens liée à l’effacement de la religion, l’art contemporain et ses artistes à la mode, ces « petits voyous qui font les antichambres des ministères et dont parlent les gazettes artistiques ». Et de citer Thomas Mann quand il fait dire à Méphisto : « Depuis que la culture s’est détachée du culte pour se faire culte elle-même, elle n’est plus qu’un déchet. » Jusqu’ici, rien de neuf pour qui connaît le personnage. 

Identité double
Mais dans ce Dialogue avec les morts, l’académicien fait un pas de côté et livre un récit intimiste au ton autobiographique. Il nous invite à une promenade au gré de la mémoire de quelqu’un qui a toujours navigué contre le vent dominant. Et qui a aussi, n’en déplaise à certains, été un passeur de la vie culturelle de ces trente dernières années. Pour tâcher de comprendre Jean Clair, il faut revenir sur les lieux d’une vie, principalement ceux de l’enfance mais aussi de Venise, la ville chérie, aujourd’hui livrée aux touristes et à « un particulier, fortuné […], venu de France », qui y a apporté « l’horreur, la fureur et le bruit ». Il faut aussi lire l’évocation des artistes qui ont ému l’austère conservateur de musée, tel le sculpteur Raymond Mason ou les peintres Arikha et Music. Fils de paysans mayennais, élevé à Pantin en région parisienne, le taiseux Jean Clair écrit avoir toujours ressenti une gêne persistante, celle d’avoir travaillé dans les musées, carrière vécue comme une incongruité totale par rapport à son milieu d’origine. « Il m’en est resté un malaise. Le sentiment ne m’a jamais tout à fait quitté d’avoir trahi, abandonné un front, gagné le confort des arrières […], écrit-il. J’ai toujours eu une double identité. Je demeure un assimilé, parlant un langage emprunté, traître à ma cause comme un marrane au judaïsme. » Moins chanceux, reconnaît-il, peut-être aurait-il mal tourné. « La seule rage qui m’habite encore, c’est celle du malappris que je suis resté, et qui explose parfois en mots orduriers. Comme un réflexe primitif, l’enfance remonte en moi. La colère, je crois, ne me quittera jamais. » La colère d’une personnalité duelle et ombrageuse, qui fait aussi de l’acrimonieux Jean Clair l’auteur d’expositions qui déplacent les foules. Tant elles dérogent aux menus ordinaires. 

Jean Clair, Dialogue avec les morts, éd. Gallimard, coll. Blanche, 2011, 282 p., 19 €, ISBN 978-2-0701-3210-2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Jean Clair - <em>Dialogue avec les morts</em>

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