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Jan de Maere : Comment le cerveau voit-il l'art ?

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 14 avril 2014 - 666 mots

Comment le cerveau humain réagit-il face à une œuvre d’art ?
Jan de Maere : Une œuvre d’art sera considérée comme telle seulement si sa perception suscite la physiologie d’un éveil esthético-cognitif de qualité supérieure dans le cerveau de l’observateur. Schématiquement, l’expérience critique de l’art passe par trois phases : le sujet saisit d’abord l’essentiel de l’œuvre, ensuite l’œil explore en détail l’objet. L’interaction entre la vue périphérique et la perception complète s’effectue par des allers-retours entre les indices visuels entrants et une image mentale. Après ce processus, le sujet est capable d’apporter une appréciation à sa perception, notamment en faisant appel aux références qu’il connaît.

Ce cheminement est observable dans l’activité synaptique ; il est immédiat, essentiel, produit par les quatre lobes du cortex préfrontal. Après un cinquième de seconde, et avant même qu’il ne le sache, le sujet développe déjà un jugement. Ensuite, il y a un mécanisme de renvoi continu entre les différentes parties du cerveau et des connexions s’opèrent entre la mémoire et le plaisir. La préférence esthétique dépend ainsi du plaisir visuel, des valeurs culturelles et de l’importance de l’expérience émotionnelle d’une œuvre pour le regardeur. La beauté stimule dans le cerveau des centres de récompense dopés par les indices perceptifs traités dans d’autres zones du cerveau. La cognition et l’émotion engendrée par l’évaluation d’un stimulus sensoriel provoqué par une œuvre sont deux éléments distincts mais essentiels à l’expérience de l’art ; il existe donc des préférences esthétiques non conscientes.

Comment le cerveau différencie-t-il une œuvre d’un chef-d’œuvre ?
Certaines œuvres sont de longue date considérées comme des chefs-d’œuvre, elles forment donc un standard auquel les autres œuvres sont comparées. Globalement, on peut dire que le chef-d’œuvre dépasse l’horizon de nos attentes, il engendre une foule d’associations cognitives, visuelles et émotionnelles. Il y a certains marqueurs récurrents mais il est impossible de définir formellement ce qui fait un chef-d’œuvre ; nous reconnaissons sa qualité quand nous le découvrons. De fait, ce n’est pas l’artiste qui décrète ce qui est, ou non, un chef-d’œuvre, c’est la reconnaissance par d’autres de sa valeur interindividuelle qui rend cette subjectivité partagée et universelle. Les meilleurs artistes sont ceux qui ont réussi, de manière essentiellement intuitive, à découvrir et à mettre en œuvre les stratégies à même de captiver notre attention profonde et de plaire à notre regard. Ils parviennent à montrer les points d’ancrage de notre compréhension, de notre patrimoine commun, ils pressentent comment augmenter le plaisir perceptif et cognitif. Mais certains chefs-d’œuvre ne sont pas perçus comme tels tant qu’ils n’ont pas été avalisés par des experts ; le rôle des connaisseurs peut donc être déterminant dans la réception d’une œuvre

Justement, vous vous êtes intéressé au cerveau des experts : quelles sont vos conclusions ?
J’ai soumis environ soixante-dix experts à des interrogatoires
et des analyses par imagerie médicale. Cela a permis de mettre en évidence leur réaction face aux œuvres, et notamment face à des faux. Il en résulte qu’un expert emploie son expérience et ses connaissances avec plus d’efficacité et d’économie qu’un novice. Plus on sait de choses, plus on a de références et moins on mobilise de zones du cerveau. L’expert a en quelque sorte automatisé son cheminement critique ; cela requiert un travail considérable mais aussi des prédispositions certaines.

Repères
Docteur en neurosciences, Jan de Maere enseigne à la Vrije Universiteit de Bruxelles. Il exerce également en tant que galeriste à Bruxelles. En mars, il a donné une conférence à la Fondation Glénat, à Grenoble, sur Le chef-d’œuvre et le cerveau, neurosciences et émotion

Neurosciences
Les neurosciences s’intéressent à l’étude scientifique de la structure et du fonctionnement du système nerveux, elles reposent notamment sur l’utilisation de l’imagerie médicale.

100 milliards
C’est le nombre de neurones que compterait le cerveau humain.

« Tout passe par l’œil. Il faut donc réussir à faire en sorte que ce qui se passe dans le champ de la neuroscience puisse infuser le monde de l’art et réciproquement. »
Jean-Pierre Changeux, Le Journal des Arts, 11 mai 2012

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : Jan de Maere - Comment le cerveau voit-il l'art ?

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