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Ivres de couleurs et de jazz

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 20 décembre 2021 - 432 mots

« Ce soir, nous sommes septembre… » C’est la Chanson d’Hélène, celle qui brise le cœur lorsqu’elle est chantée par Romy Schneider dans Les Choses de la vie, le film de Claude Sautet.

Il y a quelques années, cette chanson est apparue plusieurs fois en peu de temps dans des albums de jazz très différents. Même coïncidence pour Alfonsina y el mar, le poème tragique de l’Argentine Mercedes Sosa. Des chansons hors du temps. Les mélodies cheminent au fil des ans, et parfois les chemins convergent. Ces temps derniers, ce sont les couleurs qui ont éclos dans la production de disques de jazz. Tantôt dans des expressions synesthésiques – c’est le cas du très bel album Three Colors, du pianiste israélien Yakir Arbib –, tantôt dans des expressions picturales, comme dans l’album Colors du saxophoniste Pierre Bertrand. Chez lui, l’association entre la couleur et la musique naît d’une longue réflexion, parfois sinueuse, de son propre aveu. D’ailleurs, lorsque l’idée lui est venue d’interpréter en musique les toiles de son ami Jean-Antoine Hierro (c’est lui qui signe les pochettes de ses albums), c’était à une heure avancée de la nuit dans l’atelier du peintre, lorsque le vin avait coulé à flots. Seul musicien dans une famille plutôt portée sur l’art graphique, le saxophoniste avait depuis longtemps constaté que le vocabulaire de la musique, en manque d’inspiration, empruntait beaucoup à celui de la peinture. Il s’est intéressé à l’histoire des couleurs, en s’appuyant notamment sur les ouvrages de Michel Pastoureau, puis sur les théories de Scriabine et d’Olivier Messiaen, dans son traité sur les couleurs… Aussi était-il mûr pour interpréter à sa manière les phrases que le peintre, son complice, aime cacher dans ses tableaux à dominante monochrome : You Are My Blood (rouge), Breath Slowly the Life (vert) ou Looking for Eternity (bleu)… Il y en a huit comme ça. Huit thèmes, huit couleurs. Prenons le rouge et essayons de suivre Pierre Bertrand : le rouge l’a mené à commencer sa composition par l’arpège de l’accord mystique de Scriabine, mais il fallait trouver une tonalité. Elle est venue d’une association d’idées qui n’est évidente que pour lui : le rouge, c’est le sang, mais c’est aussi le feu, la guerre, avec son dieu Mars et Mars, c’est la planète rouge, sur laquelle on a découvert une roche en forme de pyramide… à trois faces apparentes. Le rythme aussi était trouvé, il serait à trois temps. Il n’échappera pas aux esprits malicieux que le rouge est aussi la couleur du vin qui coulait à flots. Mais qu’importe le cheminement de l’inspiration, pourvu qu’on ait l’ivresse !

À retrouver.
Laure Albernhe et Mathieu Beaudou dans Les Matins Jazz, du lundi au vendredi, de 6 h à 9 h 30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°750 du 1 janvier 2022, avec le titre suivant : Ivres de couleurs et de jazz

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