Indochine, fin XIXe siècle

Images du passé colonial de la France en Asie du Sud-Est

Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 552 mots

Les dissensions post-coloniales s’étant atténuées, on redécouvre depuis quelques années les images de ces terres lointaines où la France, qui n’était pas bienvenue, a cru bon d’imposer sa présence par les armes. Le goût récent pour la photographie ancienne redonne une acuité aux études historiques, en tenant compte de ce matériau oublié et dispersé : les images photographiques. Sous la houlette du Musée Guimet, Des photographes en Indochine révèle le contenu des collections publiques françaises.

On imagine généralement qu’à partir du moment où elle était inventée, la photographie s’est imposée universellement, et progressivement dans toutes les parties du monde. C’est oublier qu’il s’agit d’une technique européenne d’abord limitée dans ses applications, et qui ne devra son développement qu’à une économie de l’image et de sa diffusion ; en outre, seuls certains individus disposant du matériel nécessaire et sachant le mettre en œuvre (ceux qui peuvent se dire photographes) sont aptes à produire ces images. L’introduction de la photographie en Indochine n’est pas pacifique : elle arrive avec les interventions militaires, et suit leur cheminement dans le pays ; car les photographes sont souvent militaires, et leur activité s’accorde aux desseins de la conquête, puis de la diplomatie et du négoce qui l’accompagnent. Photographier ne sert pas seulement à rendre compte d’événements guerriers ou à constater des situations, cela sert aussi à renseigner les autorités de la nation, ou la population des industriels et des marchands sur l’état des lieux. Car les photographies, dès les années 1860, servent de base à l’illustration des magazines (tels que L’Illustration ou Le Tour du monde), en étant reportées sous forme de dessin ultérieurement gravé sur bois ou métal.
La bonne cause de ce livre collectif, sous la conduite de Jérôme Ghesquière, consiste à s’appuyer sur des fonds photographiques institutionnels dispersés qui ont pu depuis quelques années se faire une meilleure idée de leurs archives (ce qui était impossible, il faut le dire, il y a vingt ans). Des services historiques de l’Armée de terre ou de la Marine, à la bibliothèque de l’Asie du Sud-Est à Nice ou aux archives des Affaires étrangères, il est maintenant possible d’extraire une somme iconique de grande qualité, strictement limitée au XIXe siècle, et qui rend compte d’une diffusion encore insoupçonnée de la photographie. Émile Gsell est le premier professionnel implanté à Saigon en 1866, associé à la Commission d’exploration du Mékong de Doudart de Lagrée. Il retourne au Cambodge en 1873 et photographie le Tonkin en 1876. Gsell est à bon droit le photographe le plus représenté dans cet album, où l’on aurait pu se satisfaire de reproduire les images connues du docteur Hocquard (1884-1885), déjà publiées à la fin du XIXe siècle. Au contraire, on a cherché à varier les sites et les intervenants, à choisir des images pertinentes aux plans historique, géographique, topographique, ethnographique, et à faire œuvre scientifique en rassemblant le maximum de renseignements biographiques sur les photographes. Premier ouvrage satisfaisant sur ce sujet rare, et sans tapage, avec des images inédites et passionnantes (Gsell, ou la mission Fournereau à Angkor), bien imprimées, voilà une initiative réjouissante pour tous les amateurs de photographie “originale”.

- Philippe Franchini et Jérôme Ghesquière (dir.), Des photographes en Indochine. Tonkin, Annam, Cochinchine, Cambodge et Laos au XIXe siècle, Marval/RMN/Musée Guimet, Paris, 2001, 264 p., 164 photographies, 59,90 euros, ISBN 2-86234-311-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Indochine, fin XIXe siècle

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