Hugues de Wurstemberger : « Paysans » & Sebastiao Salgado : « Terra »

Terres menacées, deux regards de photographes

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 30 mai 1997 - 529 mots

Deux ouvrages, Paysans d’Hugues de Wurstemberger et Terra de Sebastiao Salgado, viennent de paraître sur la condition paysanne, l’un traitant de la Suisse, l’autre du Brésil. Deux attitudes et deux regards de photographes sur des mondes qui, à leur manière, refusent de disparaître.

De conditions économiques et sociales radicalement différentes, paysans suisses et brésiliens ont pourtant une angoisse commune : la menace de leur activité, soit par la mécanisation galopante, soit du fait d’un pouvoir qui refuse de les rendre maîtres de leurs terres. Pour les deux photographes, le sujet n’est pas fortuit. Hugues de Wurstemberger est né à Berne en 1954, Sebastiao Salgado au Brésil dix ans plus tôt. En outre, Wurstemberger, l’un des premiers membres de l’agence Vu, prix Niepce et lauréat du World Press en 1990, a manifesté un réel intérêt pour le monde paysan en photographiant également des cultivateurs de la Somme. Quant à Salgado, lauréat de nombreux prix internationaux, son précédent ouvrage, La Main de l’homme, était un poignant hommage aux travailleurs manuels. Mais leur vision est différente. Wurstemberger enregistre les traces d’un quotidien, de traditions ancestrales dont on sent bien, image après image, qu’elles risquent d’être vite balayées. Sans nostalgie, sans verser dans une ode béate à la terre, il fixe les gestes répétés – les foins, la fabrication du gruyère –, les coutumes – les "mises" –, les loisirs – les combats de lutte –, les vêtements rugueux longtemps portés. Choisissant un format carré, respectant la lumière naturelle, il s’attache souvent à des détails qui prennent force de symbole : un paysan, de dos, marche, une poignée d’herbes dans les mains. Comme Michel Guerrin l’écrit en postface, Wurstemberger "cerne une communauté définie et la transforme en une sorte de tribu évoluant en vase clos, dans un monde intemporel". Ces paysans des alpages pourraient occuper d’autres montagnes d’Europe. Sebastiao Salgado mise sur l’impact visuel. Avec le format habituel du reporter, 24 x 36, il saisit un univers qui grouille. Au Brésil, le quotidien est fait de misère extrême, de violence, de manifestations de foule, d’assassinats de syndicalistes. L’homme, sa détresse, son instinct de survie, sont au centre de ses préoccupations. Un gris lourd domine des images souvent reproduites en pleine page, voire en double page, accentuant ainsi le drame humain qu’elles révèlent. Dans un paysage désolé, des vautours tournoient au-dessus d’humains errant pour se partager les restes d’une décharge. Il sacralise parfois la misère : dans une clairière, un campement de paysans "squatters" est baigné d’une lumière divine. Terra est un livre militant. Il est accompagné de la vente "d’un kit de 50 posters" au profit de Frères des Hommes et du Mou­vement des paysans sans terre (MST). Les légendes, rédigées par Salgado, économiste avant de devenir photographe, renforcent les images en soulignant longuement et précisément les conditions d’exploitation. Toutes les images de Salgado veulent servir une cause, celles de Wurstem­berger s’attachent, avec plus de distance, à témoigner.

- Hugues de Wurstemberger, Paysans, texte de Didier Schmutz, postface de Michel Guerrin, éd. La Sarine, distrib. Hazan, 160 p., 108 ill., 272 F.
- Sebastiao Salgado, Terra, introduction de José Saramago, poèmes de Chico Buarque, éd. La Martinière, 144 p., 109 ill., 350 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : Hugues de Wurstemberger : « Paysans » & Sebastiao Salgado : « Terra »

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