Chronique

Essais et transformations

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 851 mots

Des femmes artistes et artistes femmes à Paris à la création à l’heure d’un monde global, réflexions sur l’art en train de se faire.

Bon an, mal an, avec grâce ou en traînant des pieds, il s’en écrit encore, des pages et des livres « sur » l’art contemporain. L’on voudrait ici ouvrir une manière de carnet de lectures, au gré des publications nouvelles et moins récentes, qui informe l’amateur et alimente de ces lectures une réflexion sur l’état chronique d’une pensée de l’art en train de se faire (l’art comme la pensée, et l’un par l’autre), non sans partis pris mais sans interdit ni exclusion a priori.
Affichées comme « vitriolantes », les chroniques publiées dans la collection Artension d’Amélie Pékin nourrissent leurs prétentions pamphlétaires de poncifs ressassés : élitisme intellectuel et social, hermétisme et collusion du monde de l’art et de l’argent, exclusion du public, tout y est, à charge. Mais l’absente, c’est surtout l’œuvre comme production de force de sens. Ce qui tombe sous le sens puisque le non-sens est le préalable affirmé de la démarche. Quod erat demonstrandum ! L’argument économique, omniprésent, confond malheureusement critique matérialiste et rage anti-institutionnelle. Ce que le pamphlet brandit, l’essai peut aussi en faire son lit : il ne cache d’ailleurs pas son jeu en affichant la mélancolie dans son titre. Mais Où est passé l’art ?, s’inquiète Christian Delacampagne, philosophe et historien. Relevons, au-delà du côté convenu de l’histoire de l’art tricotée par l’auteur, l’aspect de deuil qui porte le propos : celui du bon temps du réalisme, de la représentation d’avant les modernes et de la confrontation au photographique. Le démon du marché vient à nouveau à la rescousse pour expliquer le déclin du beau… pendant que les jeunes étudiants-artistes s’obscurcissent avec Photoshop en délaissant la mine de plomb. Mais heureusement, le retour de la peinture, l’art outsider et la circulation numérique des images laissent un coin relevé sur « des valeurs de nos jours oubliées » et le souci de la beauté ! Il est dommage qu’un titre d’une nouvelle collection didactique soit porté par une téléologie de la perte, et si peu en prise avec l’état du monde d’aujourd’hui.

Un agir d’aujourd’hui
L’inquiétude de Jean-Claude Moineau est, elle, autrement fondée sur un état actuel du monde et de l’art, au nom du présent et de l’agir contemporain. Enseignant engagé en théorie et en critique de la contemporanéité, il tente, avec Contre l’art global, de construire des perspectives pour un agir d’aujourd’hui en identifiant les territoires de frottements entre art et monde. Mais il fait réellement l’effort de batailler avec l’état des choses. La question de l’identité, individuelle et culturelle, y est en jeu par résistance aux sirènes de la globalisation comme au repli frileux. Au travers d’un parcours riche en références théoriques et en œuvres, Moineau dessine cette position de l’œuvre bien plus que de l’artiste qui met en lumière – comme le fait l’anthropologue – une conscience du monde déliée de l’héroïsme du sujet roi (qu’il soit artiste, spectateur, expert) et qui vise un « devenir intensif par opposition au caractère plus que jamais extensif de la « langue globale’’ »  (p. 188).
Au-delà de son titre peu avenant, le parcours d’œuvres écrit par Pascale Cassagnau (inspectrice à la création à la délégation aux Arts plastiques et critique) est à nouveau une manière de penser la production artistique. Cet « atlas buissonnier » s’attache à près de 80 films et créateurs par une analyse synthétique et problématique et à l’aide d’entretiens. L’archipel ainsi décrit se situe entre documentaire, fiction, nouveaux médias : il est constitué par cette idée ouverte du cinématographique. L’angle est juste, pour inciter à une attention critique renouvelée aux formes contemporaines.
Femmes artistes/artistes femmes est le fruit d’une longue recherche de Catherine Gonnard et Élisabeth Lebovici. L’apparition de femmes artistes dessine une histoire parallèle de la modernité et présente des personnages souvent peu connus mais attachants et surtout des œuvres. La perspective est ancrée (Paris de 1880 à nos jours), historique mais aussi analytique, appuyée par un travail de recherches documentaires (depuis la fondation de l’Union des femmes peintres et sculpteurs en 1881) et un travail théorique nourri aussi aux sources des théories féministes. « La femme de génie n’existe pas. Quand elle existe, c’est un homme », dit Victor Ozanne en 1905. Modèle, muse, artiste à part entière : ici encore, l’aspect prospectif de l’ouvrage porte sa lecture, monographique, chronologique ou par feuilletage, dont on pourrait souhaiter qu’elle s’élargisse géographiquement désormais.

- Amélie Pékin, L’art contemporain pour les surdoués !, éditions Lelivredart, collection Artension, Paris, 2007, 64 p., 9,50 euros, ISBN 978-2-35532-007-1. - Christian Delacampagne, Où est passé l’art ? Peinture, photographie et politique (1839-2007), Paris, 2007, éditions Panama, collection Cyclo, 216 p. illustré, 15 euros, ISBN 978-2-7557-0112-8. - Jean-Claude Moineau, Contre l’art global — Pour un art sans identité, éd. Ère, Maisons-Alfort, 2007, 192 p., 16 euros, ISBN 978-2-915453-36-2. - Pascale Cassagnau, Future Amnesia : enquête sur un troisième cinéma, Isthme éditions, Paris, 2007, 384 p., inclus sur DVD un film de 1966 de Jean-André Fieschi, 33 euros, ISBN 978-2-3540-9001-2. - Catherine Gonnard et Élisabeth Lebovici, Femmes artistes/artistes femmes — Paris, de 1880 à nos jours, éditions Hazan, Paris, 2007, 480 pages, 45 euros, ISBN 978-2-7541-0206-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Essais et transformations

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