Chronique

Entre avant-goût et après-coup

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2008 - 814 mots

Du dilemne de la juste parution du catalogue d’exposition.

Le catalogue d’exposition est un genre singulier, aux contraintes bien connues et partagées par ceux qui le font, et par ceux qui le lisent. On connaît la question, qui tourne au dilemme pour les commissaires et autres responsables d’institutions : le boucle-t-on pour le vernissage, ou non, quand un traducteur est plus long que prévu, quand un graphiste explose son disque dur, quand un imprimeur ou qu’un transporteur ne tiennent pas leurs délais, sans parler de la coquille ou de l’ekta inversé ! Le grand avantage d’associer à l’inauguration la présence rassurante de la chose imprimée réside dans le fait qu’il explique tout et fait trace.
Le catalogue fait preuve, et on pense déjà au suivant. Mais la frustration est grande. L’exposition a forcément révélé une pièce de dernière minute, ou une grâce de l’accrochage a fait naître une relation imprévisible. Quel dommage de ne pas en imprimer la preuve ! Seule l’archive en portera témoignage, avec la complicité du fidèle photographe. À moins que l’on ait misé autrement : on attendra l’accrochage et après la campagne du même photographe, c’est le parcours de l’exposition qui donne sa structure au catalogue. Bien sûr, cette version est infiniment plus fidèle au travail des artistes et du commissaire. Entre le catalogue hypothèse et le témoignage construit, le bonheur muséographique connaît son camp. Mais, c’est sans compter sur le Maire, ou la Présidente du Conseil régional, ou pis, le P-DG sponsor qui doit justifier au plus tôt cet investissement aventureux qu’il a le plus souvent pris sur lui, sous le regard soupçonneux d’un CA dubitatif… Et les journalistes ? Avec quoi vont-ils travailler ? Une exposition est aussi un événement qui pour nombre de ses acteurs est une affaire classée avant même que ses portes ne s’ouvrent… Avouons aussi que parfois, ce sont les circonstances qui décident : un rétroplanning impossible, un budget à retardement, une coproduction délicate… Mais au long terme, le catalogue de l’après-coup remplit autrement son office. Le commissaire peut toujours y défendre une hypothèse fondatrice et l’étayer de preuves photographiques. On aura préparé les biographies et l’appareil critique. Et les œuvres en situation auront tout de même belle allure. Il y aura peut-être même un vrai parcours d’accrochage. Bien sûr, on dira qu’il arrive trop tard, comme la cavalerie ou comme… la critique, qui a, elle, pourtant, de bonnes raisons de revendiquer l’après-coup. Et il y a encore d’autres hypothèses comme celle du catalogue que l’on envoie sous presse et sort juste quelques jours après, avec une iconographie toute chaude. Sauf si l’on a pu anticiper l’accrochage et le fignoler dix jours avant la date fatidique, mais les calendriers laissent rarement le luxe d’entretenir un tel temps mort…
Il y a une autre hypothèse encore, quand l’objet même de l’exposition, c’est le catalogue et l’espace d’expression des artistes. évidemment, un tel dispositif correspond mieux aux travaux des conceptuels que des peintres. À preuve par exemple, le catalogue « monstre » de la Biennale de Paris nouvelle manière, XVe du nom, « monstre » par la dimension qui rivalise avec celle du bottin (1 100 pages) et par sa nature – des « projets » d’artistes qui tiennent de l’énoncé souvent. Mais attention, ne pas confondre avec le livre d’artiste, qui se tient lui bien souvent hors calendrier, dans le temps de l’œuvre, plus que dans le temps social. Non, nous parlons bien de catalogue. Un autre « monstre » est paru il y a déjà quelques semaines : 742 pages reliées façon déconstruit, des images exclusivement de l’événement, un trombinoscope des artistes presque « live ». « La Force de l’Art » revient ainsi, un an et demi plus tard, sans la difficulté d’habiter l’architecture hors de mesure du Grand Palais : son désordre est finalement assez heureusement rendu, et la lisibilité de certaines œuvres y gagne. En tout cas, dans le jeu de la périodicité ici triennale, puisque la prochaine édition semble bien se concrétiser, ces pages-là donnent raison à l’après-coup. De même, sans doute Estuaire, qui six mois après le déploiement fluvial sur le parcours Nantes-Saint-Nazaire donne de l’événement une vision épurée, idéale, sur un papier un peu glacé. En attendant une prochaine édition, puisque décidément, ces catalogues-retards s’inscrivent dans une périodicité cyclique, ceci expliquant cela, le catalogue entretenant l’attente, rétrospectif mais aussi annonciateur. Alors, vous le faites comment, votre prochain ? Avant ? Après ? Pendant ? On se plaint quand il faut les ranger, si souvent littéralement inclassables… mais ce défaut aussi est une qualité des catalogues.

XVe Biennale de Paris, d’Alexandre Gurita (sous la dir.), 2007, éd. Biennale de Paris, 1 184 p., 24 euros, ISBN 2-900176-00-X.
La Force de l’art, coll., 2007, éd. de la RMN, 742 p., 45 euros, ISBN 978-2-7118-5346-5.
Estuaire, Jean Blaise, Frédéric Bonnet, Dominique Luneau, 2008, éd. Gallimard, 194 p., 30 euros, ISBN 978-2-7424-2254-7.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°278 du 28 mars 2008, avec le titre suivant : Entre avant-goût et après-coup

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