Livre

Littérature

Écriture imagée

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 26 octobre 2017 - 355 mots

Si toute image se parcourt comme un récit, la photographie est l’art de faire parler le réel. Il s’y déploie un discours, entre le conte imagé de ce qu’elle montre et ce qu’elle dit des intentions, du sentiment et du regard de celui qui l’a produite.

Toute image est un mythe. Il y résonne un dialogue nourri par ce qu’elle ravive en celui qui la regarde comme souvenirs ou projections, rêveries ou réflexions. En cela, elle est une invention, tout comme un aventurier intuitif et persévérant inventerait un trésor. Et dans certaines inventions, il y a du génie. Dans les photographies de Michel Butor surgit avant la lettre tout son art du récit et de la poésie, tout son intérêt pour le réel, et tapis dans le réel un quelque chose de plus vrai que nature, un geste, un souffle, une allégorie. Ce jeu de complétude entre la forme et le temps, ce jeu d’interface entre l’extérieur et le dedans, il le traduit par le « Génie du lieu ». Chaque photographie, accompagnée en regard d’un court texte qui la prolonge s’attache par son format carré à souligner un détail, un point de vue. On y retrouve la dynamique romanesque du paragraphe, où l’écrivain expose la concision d’une pensée, d’un instant, d’une action. On y perçoit les articulations d’un langage et les techniques de son utilisation. Une rhétorique des reflets, des contrastes, des croisements. Un vocabulaire des lieux et de visages. Une grammaire des traits et des vertiges. Une conjugaison de plans, de mouvements qui s’étendent dans la durée. Écho rêvé de ce qu’elle décrit, comme la page d’un livre se dévoile mot après mot, l’image imprime sa temporalité dans l’imaginaire de celui qui la lit, avec ses phrases muettes et impressives, ses points de chute, ses lignes de fuite. Butor photographe compose ses prises de vue comme l’écrivain tourne ses phrases, avec une justesse de regard qui incarne tout un art, une technique et une âme, et c’est « le menton du texte sur l’épaule des images, les phalanges du trait dans la paume des phrases » qu’il semble alors incarner en lui-même, physiquement, cette croisée des chemins.

 

Michel Butor,
Au temps du noir et blanc,
Delpire, 2017, 312 p., 28 €.

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°706 du 1 novembre 2017, avec le titre suivant : Écriture imagée

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