Cinéma

Drôle de bête

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 27 octobre 2020 - 405 mots

En règle générale, les films qui abordent la vie des peintres portent leurs noms. Deux syllabes annoncent le programme : Van Gogh (Maurice Pialat, 1991), Basquiat (Julian Schnabel, 1997), Pollock (Ed Harris, 2003), ou leur prénom : Frida (Julie Taymor, 2002). Les artistes plus confidentiels ont besoin de plus de mots. 

My Left Foot (Jim Sheridan, 1990) évoque ainsi le destin de Christy Brown qui peignait avec son pied gauche. Aujourd’hui, Je voulais me cacher revient sur Antonio Ligabue, artiste italien culte et marginal. Né en 1899, rachitique et déficient mental, il alterne les petits boulots et les séjours dans les institutions. À la fin de la Première Guerre mondiale, on le retrouve le long du Pô, sans toit ni travail fixe. Mais son destin va basculer. Remarqué par la critique, Ligabue parviendra à vivre de son art. 

Le réalisateur du film Giorgio Diritti refuse la chronologie pour adopter une forme chaotique dont le scénario égare souvent le spectateur. Je voulais me cacher marque néanmoins la rencontre fascinante de la peinture et de l’art dramatique. Sur Internet, plusieurs vidéos de Ligabue permettent de mesurer le degré de mimétisme stupéfiant auquel parvient l’acteur Elio Germano. Fasciné par les animaux, Ligabue ne cesse de les observer, de les étudier, de les imiter… et Germano sculpte son personnage à partir de cette fusion de l’artiste avec le monde animal. On le verra glousser aux côtés d’un dindon ou rugir face aux toiles de fauves. On songe aux méthodes de jeu développées par Lee Strasberg dans sa célèbre école de l’Actors Studio pour lesquelles il avait théorisé l’idée d’« incorporation animale ». Dans un exercice désormais classique, l’acteur absorbe les réactions du monde animal, sa façon de se déplacer, de porter son regard sur son environnement, pour les transfuser à son personnage. Il retrouve la grâce du cygne, la souplesse de la panthère et ce retour au règne animal charge son interprétation d’une force brutale, d’une énergie finalement proche de l’art primitif. À l’écran, Elio Germano devient Antonio Ligabue, comme Antonio Ligabue devenait le tigre de sa toile. Théoricien de « l’art brut » avant même la création du concept, fasciné par « l’art des fous », le psychiatre Paul Meunier écrivait en 1907 : « On dirait que ces artistes improvisés recommencent pour leur propre compte le chemin parcouru par l’humanité. » Ainsi sont les peintres et les comédiens, sinon des fous, du moins de drôles de bêtes.

À savoir 

Je voulais me cacher est le cinquième long-métrage de fiction de Giorgio Diritti, auteur par ailleurs de plusieurs documentaires et courts-métrages.
À quarante ans, Elio Germano vient de recevoir l’Ours d’argent à la Berlinale 2020 pour le rôle d’Antonio Ligabue. En 2010, son rôle dans La Nostra Vita de Daniele Luchetti lui avait valu un prix d’interprétation au Festival de Cannes.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°738 du 1 novembre 2020, avec le titre suivant : Drôle de bête

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