Entretien

Dominique Valbelle, Présidente de la Société française d’égyptologie

Les secrets des pharaons noirs

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2005 - 833 mots

Le 11 janvier 2005, la mission archéologique de l’université de Genève à Kerma (Soudan), dirigée par Charles Bonnet, mettait au jour, dans l’un des temples de la ville égyptienne de Pnoubs, une fosse renfermant sept statues monumentales. Celles-ci figuraient notamment les deux derniers pharaons de la XXVe dynastie, lesquels régnèrent sur l’Égypte et la Nubie dans la première moitié du VIIe siècle avant notre ère, ainsi que les trois premiers souverains de la dynastie napatéenne. Présidente de la Société française d’égyptologie, professeure à la Sorbonne, auteure avec Charles Bonnet de l’ouvrage paru aux éditions Citadelles et Mazenod sur le sujet, Dominique Valbelle évoque cette découverte fondamentale pour l’égyptologie.

 Dans quel contexte les statues ont-elles été découvertes ?
La mission archéologique était en cours depuis un certain temps. Charles Bonnet travaille à Kerma depuis plus de trente-cinq ans et fouille plus précisément le site voisin de Doukki Gel depuis une dizaine d’années. La cité égyptienne de Pnoubs, qui a succédé à l’antique capitale du royaume nubien de Kouch, a livré les vestiges de temples édifiés par les Égyptiens à partir du début de la XVIIIe dynastie. Trois d’entre eux ont déjà été fouillés, le plus ancien, contemporain de la conquête égyptienne, l’a été au début de l’année 2005. Charles Bonnet a d’abord découvert des feuilles d’or dans le sol de la partie antérieure du temple. Puis, le premier pilier dorsal, celui de Taharqa (avant-dernier pharaon de la XXVe dynastie), impeccablement conservé, est apparu. Sur le moment, j’ai cru que c’était un montant de porte, mais Charles Bonnet m’a vite convaincue du contraire, en dégageant le début du pagne de Taharqa, un ouvrage extraordinaire avec des plis superbes. La matinée a été une série de coups au cœur avec l’exhumation d’un deuxième pilier dorsal, celui du successeur de Taharqa. À la fin de la journée, nous avions mis au jour plusieurs têtes de statues représentant les deux derniers rois de la XXVe dynastie, Taharqa et Tanoutamon, et ceux (à partir du deuxième roi) de la dynastie suivante, dite « napatéenne » : Senkamanisken et Aspelta. La tête d’Anlamani est apparue une semaine plus tard au fond de la fosse. Ce sont des statues d’un style prodigieux.

Quelles en sont les principales caractéristiques ?
La figure de Taharqa est un peu à part. Incontestablement, elle a été faite par un sculpteur venu d’Égypte. On discerne très nettement l’apport égyptien, à une époque où les souverains kouchites régnaient sur l’Égypte et envoyaient des artistes d’ateliers royaux pour travailler sur les temples de Nubie. Petit à petit, cet art évolue et voit la naissance d’un style nettement moins égyptien avec beaucoup de parties piquetées pour les feuilles d’or. En témoignent les deux têtes de Tanoutamon, l’une de facture très classique, l’autre, superbe, aux traits à peine soulignés avec des piquetages sur les yeux pour les dorures.

Les statues de la cachette de Kerma ont été soigneusement cassées avant d’être déposées dans la fosse. Pourquoi ?
Tout comme les statues découvertes au début du XXe siècle dans la cachette de Gebel Barkal (à Napata), elles sont à rapprocher de la grande expédition menée contre Kouch par Psammétique II, en 591 avant J.-C., sous le règne d’Aspelta. Ceux-ci tentèrent de rétablir leur domination sur le royaume nubien. Après le départ des troupes égyptiennes, Aspelta a nécessairement donné des ordres pour que ces statues soient recueillies en terre sacrée.

Que nous enseignent ces statues ?
Du point de vue de l’histoire de l’art, elles sont très importantes, puisque nous disposons de très peu d’éléments pour ces périodes – la majorité des autres statues ayant perdu leur tête. Pour Tamoutamon, il s’agit même des premières têtes connues du souverain ! Sur le plan stylistique, ces sept sculptures, en quasi-parfait état, modifient notre vision de l’art de cette époque. Elles nous apportent aussi quantité d’éléments d’information sur les pratiques monarchiques. Alors que Taharqa porte la coiffure kouchite, Anlamani porte la double couronne égyptienne, comme s’il régnait toujours sur l’Égypte. La coiffe est parée des cornes d’Amon, attribut royal symbolisant le caractère divin du souverain… On comprend aisément que ces velléités nubiennes aient pu énerver Psammétique II !

Dans quelle direction les fouilles vont-elles se poursuivre ?
Nous avons d’ores et déjà retrouvé un morceau des statues en dehors de la cachette de Kerma, ce qui présage au minimum des compléments d’information, au mieux la mise au jour d’une autre cachette sur le site… C’est l’un des objectifs de la prochaine campagne qui va démarrer fin novembre et que je rejoindrai en janvier 2006. Une découverte de cette ampleur prend beaucoup de place dans la vie d’une égyptologue ! On rentre dans l’histoire, on participe à la renaissance des statues. Avec la parution de cet ouvrage et, surtout, la construction d’un futur musée pour les abriter, nous redonnons à ces statues un cadre officiel prestigieux et perpétuons leur mémoire. Finalement, nous jouons le jeu initial prévu par cette antique culture !

Charles Bonnet et Dominique Valbelle, Des Pharaons venus d’Afrique, éditions Citadelles & Mazenod, 216 p.,52 euros, ISBN 2-85088-216-X.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°223 du 21 octobre 2005, avec le titre suivant : Dominique Valbelle, Présidente de la Société française d’égyptologie

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