Prière d’insérer... par Marie Rayevski

Des portraits du Fayoum à ceux de berenice abbott

L'ŒIL

Le 7 août 2012 - 373 mots

Les portraits antiques du Fayoum sont ceux de « quelqu’un qui dit ni “moi”?, ni “je”?, mais qui erre sous nos yeux entre les trois pronoms, entre les trois “personnes”? du singulier (je, tu et aussi il)… », tout comme ils ont erré longtemps entre trois civilisations (égyptienne, grecque et romaine).

La lecture de L’Apostrophe muette (éd. Hazan, 174 p., 18 €) de Jean-Christophe Bailly nous transporte dans un monde entre-deux, car les portraits sont « simultanément pseudo-présence et indication de l’absence. » C’est avec intelligence et grande sensibilité que l’auteur aborde l’idée de représentation et de mort à partir d’une image de l’absence, car si les portraits sont des « figurines funéraires en costume des vivants », c’est autant pour nous rappeler ceux qui ne sont plus que pour nous parler de la mort.
Jean-Christophe Bailly, sans nous perdre dans d’innombrables renvois, nous ouvre à de nombreuses réflexions, qu’elles soient religieuses (dans l’Égypte antique, « la mort ne met fin aux êtres qu’en tant qu’ils sont vivants, elle les reconduit en tant qu’êtres ») ou artistiques. Comment ne pas acquiescer lorsque l’auteur énonce que les portraits qui sont « un visage tu et nommé » représentent « la puissance rétractée que toute sa vie Giacometti a cherché à saisir » ? On saluera toutes les pertinences de l’auteur et particulièrement le lien qu’il fait avec Artaud et le « dualisme de l’âme et du corps, où le corps, séjour de “l’infime de dedans”, se voit opposer “l’infini dehors” auquel le visage est livré ».

Les portraits du Fayoum sont « fixes, interrogatifs, sans affects, sans désir. Il y a en eux une sorte de placidite, de neutralité. » Près de 2000 ans plus tard, cette idée que les portraits ne se « prononcent pas, mais se taisent » habite les photos de Berenice Abbott (Berenice Abbott, Actes Sud, collection Photo poche, 13 €). L’esprit scientifique qui l’occupera dans les années 1950-1960 semble comme latent dans ses portraits de James Joyce et d’Eugène Atget. Avec une précision chirurgicale, Berenice Abbot va puiser l’essence de chacun et révéler ce qui les lie tous « un rendez avec soi-même » puisque leur silence et leur regard font leur universalité, tout comme les portraits du Fayoum.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : Des portraits du Fayoum à ceux de berenice abbott

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