David Foenkinos : « avec Charlotte, je voulais un roman émotionnel »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 novembre 2014 - 907 mots

Après le prix Renaudot, l’auteur de La Délicatesse a obtenu le prix Goncourt des lycéens avec son roman Charlotte qui raconte la vie d’une jeune peintre juive morte à Auschwitz.

FABIEN SIMODE : Comment avez-vous « rencontré » le personnage de Charlotte Salomon ?
DAVID FOENKINOS : Cela a été une rencontre avec une femme, un destin, avec une voie singulière dans l’art au XXe siècle. J’ai rencontré Charlotte Salomon par hasard, lors de la visite de son exposition au Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris. C’était en 2006, je ne savais alors pas qui elle était et, ce jour-là, je suis tombé face à une œuvre qui m’a bouleversé. J’ai compris que cette rencontre faisait écho à des références qui m’intéressaient, à un univers que j’aimais : Schubert, l’art allemand avec Aby Warburg sur lequel j’avais travaillé… J’ai d’abord été attrapé visuellement par l’œuvre, ses couleurs, sa chaleur… Puis par une émotion intellectuelle qui m’a fait entrer dans son monde. Peut-être est-ce le prototype du coup de foudre ?

F.S : Ce livre tient une place particulière dans votre œuvre, vous y apparaissez d’ailleurs pour la première fois. Même la forme littéraire que vous utilisez est originale, revenant à la ligne après chaque phrase. Pourquoi ?
D.F : C’est le roman que j’essaie d’écrire depuis toujours ! Il y a en effet une partie de ce que je ressens et qui m’anime dans Charlotte. Je suis pudique, je parle peu de moi dans mes livres, mais là j’ai compris que je devais cette fois expliquer mon enquête et pourquoi Charlotte me touchait autant. J’ai donc voulu partager cette émotion. Pour moi, Charlotte est un livre de « passeur » ; mon bonheur est de savoir que beaucoup de lecteurs découvrent Charlotte Salomon et ont envie d’en savoir plus sur elle.

F.S : Quand avez-vous su que vous écririez un jour sur Charlotte ? 
D.F : Les jours, puis les années ont passé, et l’émotion ne m’a jamais quitté. J’ai continué mes recherches sur elle et à me rendre sur les lieux de sa vie. Mais je n’ai d’abord pas su comment aborder cette histoire, que j’ai d’ailleurs commencée puis abandonnée plusieurs fois.

F.S : Vous parlez même d’obsession…
D.F : Les obsessions peuvent être douces ! J’ai parfois l’impression que l’on me prend pour un illuminé, mais il ne s’agit que d’admiration pour une peintre et pour une femme, pour sa force et son courage. Il ne faut jamais oublier le contexte : une femme de 23 ans, seule, qui a tout quitté après avoir subi l’humiliation, qui a été internée dans un camp des Pyrénées, qui a vu sa grand-mère se suicider sous ses yeux après sa mère, dont elle apprend aussi le suicide… et, qui, avec trois couleurs primaires, va être encore capable de réinventer sa vie.

F.S : Vous attendiez-vous au succès immédiat de ce livre ?
D.F : Pas du tout. Travailler à ce roman a été un exercice d’une grande liberté ; je me suis libéré à un moment de toutes les contraintes possibles. Il se trouve que ce livre marche incroyablement bien, qu’il est aujourd’hui récompensé par le prix Renaudot, mais je vous assure que rien n’était gagné d’emblée. Je ne me suis d’ailleurs jamais posé l’idée de la réception. Je devais écrire ce livre, c’est tout. Il vient de beaucoup plus loin que les autres – je ne dénigre absolument pas mes précédents livres – et il a nécessité un travail plus important au niveau de la littérature et de la compréhension du personnage.

F.S : Est-ce une forme de biographie ?
D.F : C’est un roman inspiré de la vie de Charlotte Salomon, mais ce n’est pas une biographie – même si j’ai hésité, à un moment donné, à en écrire une. Mon livre est inspiré des faits réels de sa vie. Les seuls points d’imagination dans les faits sont les scènes entre Alfred et Charlotte. En même temps, lorsque vous voyez ses dessins, elle dessine Alfred des centaines de fois, elle reproduit leurs dialogues sur des pages et des pages… Certaines scènes que je romance, comme celle de la barque, existent d’ailleurs dans ses dessins. Mais toutes les émotions du personnage sont, elles, « romancées ». Je voulais un roman émotionnel, et je ne me permettrais jamais de dire que ce livre est la vérité. Même si je pense qu’il l’est…

F.S : Vous parlez beaucoup de l’expressionnisme dans vos livres, êtes-vous amateur d’art ?
D.F : Je peux citer beaucoup d’œuvres ou de peintres que j’admire : par exemple Nolde, Beckmann et Munch, que j’ai découvert à Oslo à 16 ans, et dont une œuvre, sa Tête d’homme dans les cheveux d’une femme, apparaît dans plusieurs de mes livres. L’art que j’aime se situe plutôt entre l’expressionnisme allemand et de Kooning. Mais ma vie, cela reste la littérature et je ne sais pas si j’écrirai un jour un autre livre sur un artiste…

F.S : Dans quel état d’esprit étiez-vous avant le prix Renaudot ?
D.F : J’étais très apaisé. Le livre s’était déjà vendu à plus de 120 000 exemplaires, les critiques n’avaient jamais été aussi bonnes, il était le « livre préféré des libraires »… D’une certains manière, javais déjà tout gagné ! Aujourd’hui, je suis donc plus qu’heureux.

Une exposition des œuvres de Charlotte Salomon, à laquelle David Foenkinos sera associé, est d’ores et déjà programmée à Nice à l’automne 2015. La sortie du roman illustrée par les œuvres de l’artiste est également prévue aux éditions Gallimard.

David Foenkinos, Charlotte, Gallimard, 224 p., 18,50 €.

Légende Photo :
David Foenkinos - 2012 - Courtesy photo C.Hélie - Gallimard

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : David Foenkinos : « avec <em>Charlotte</em>, je voulais un roman émotionnel »

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