Moyen Âge

Dans la fureur des tympans romans

Le Journal des Arts

Le 14 janvier 2015 - 678 mots

Porté par des photographies soignées, le nouvel ouvrage de Michel Pastoureau transporte son lecteur dans l’imagerie parfois effrayante de l’art roman.

Que le grand spécialiste des couleurs s’intéresse à des sculptures devenues au fil du temps achromes peut surprendre. Michel Pastoureau, médiéviste spécialiste de l’héraldique, auteur en 2011 des Bestiaires du Moyen Âge (1), examine ici les Tympans et portails romans choisis dans neuf églises de France photographiées par Vincent Cunillère. Dès l’introduction, Pastoureau, toujours aussi clair et didactique, plonge son lecteur dans cet art de la sculpture « d’un goût barbare et ridicule », selon les termes d’un érudit bourguignon en 1825.

Longtemps déclassé par la prédominance du goût pour l’art gothique, l’art roman se déploie de l’Aquitaine au Poitou, de la Bourgogne à la Provence, de la fin du XIe siècle aux toutes premières décennies du XIIe siècle. Il reçoit enfin ses lettres de noblesse dans la première moitié du XXe siècle grâce aux travaux de l’historien de l’art Émile Mâle. Depuis, historiens et chercheurs ne cessent de découvrir le foisonnement des images et la richesse des références érudites dans ces œuvres sculptées : voilà qui intéresse un iconographe tel que Michel Pastoureau. Dans l’ouvrage, l’auteur s’est concentré sur les tympans et leurs décors sculptés, ces « bibles des illettrés » à haute portée pédagogique – dans l’Évangile selon saint Jean, le Christ affirme : « Je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. » Lieu de transition, de passage entre espace profane et espace sacré, lieu d’avertissement, le tympan expose la damnation et le salut, la lutte entre le Bien et le Mal. Jugements derniers et Christ en gloire prédominent.

Finesse des visages
À Moissac (Tarn-et-Garonne), l’église Saint-Pierre, petite sœur de Cluny, présente dans son tympan le Christ apocalyptique, entouré des quatre symboles des évangélistes (ange, aigle, lion, taureau) et des élus, et permet à Pastoureau de revenir sur les grandes lignes de l’iconographie de l’Apocalypse de Jean. Réalisé entre 1115 et 1130, le portail est admirable de détails et de précisions, notamment dans la finesse des visages des statues-trumeaux représentant le prophète Jérémie et saint Paul.
À Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze), le portail, achevé vers 1125, expose un Christ en majesté qui trône au-dessus des ressuscités et de monstres hybrides. Ici, l’ours (à qui Michel Pastoureau a consacré un ouvrage entier) est porteur du péché, symbole de la paresse, la colère, l’envie, la goinfrerie et la luxure. À ses côtés, un monstre serpentiforme à tête humaine déroule un corps hybride effrayant. À Conques (Aveyron), les scènes bouillonnantes de l’Enfer se développent sur toute la partie droite du portail, devant un Christ majestueux et la sérénité des élus représentés sur le côté gauche, parmi lesquels l’empereur Charlemagne. Une infime partie de la polychromie subsiste, parant l’Enfer de tonalités rouges et noires : l’effet, pour les fidèles, devait être saisissant.

Pendaisons, piétinements, crémations et ablations en tous genres rythment l’espace : à chaque crime répond un supplice bien précis. Ces scènes participent pleinement à la liturgie des cérémonies pénitentielles collectives qui ont lieu jusqu’à l’époque moderne. À Vézelay (Yonne), le linteau des peuples étrangers emprunte à Pline l’Ancien la description des Pygmées, censés être si petits qu’ils devaient utiliser une échelle pour monter à cheval, et celle des hommes aux grandes oreilles, les légendaires panotéens. En contemplant les linteaux grâce aux éclairages iconographiques, des pans de la pensée médiévale sont ainsi mis à jour.

C’est au sein d’une vaste campagne photographique entreprise par Vincent Cunillère que Michel Pastoureau est allé piocher son échantillonnage iconographique et a conçu ses notices. Ces clichés, où la lumière joue un si grand rôle puisque la polychromie a aujourd’hui disparu, sont une composante essentielle de l’ouvrage. Le photographe, spécialiste de l’œuvre de Pierre Soulages, a déjà travaillé à Conques sur les vitraux du peintre. Dans le livre, l’esthétique du portail de la cathédrale d’Autun (Saône-et-Loire), aux formes plus élancées et plastiques que les autres églises choisies, est magnifiée par les cadrages du photographe où les jeux d’ombre et lumière s’insinuent dans la finesse des drapés.

Note

(1) Éditions du Seuil.

Tympans et portails romans, Michel Pastoureau, photographies de Vincent Cunillère, Éditions du Seuil, 2014, 216 p., 45 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°427 du 16 janvier 2015, avec le titre suivant : Dans la fureur des tympans romans

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