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Comment le beau l’est

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 28 août 2019 - 334 mots

La beauté est-elle le piège de l’humanité, son traquenard ultime, l’apanage du diable, ou bien son seul horizon existentiel, sa voie d’évolution, la seule cause qui vaille la peine d’être entendue ? Pour tenter de dégager quelques éléments de réponse, Frédéric Brun convoque dans son anthologie quatre-vingts auteurs de toutes époques, disciplines et cultures, dont l’assemblée semble former une voix en chorale toute d’humanité.

« L’Un distinct en soi-même » d’Héraclite, cité par Hölderlin aux premières pages du recueil, ouvre le fond de réflexion qui le parcourt de part en part. Par le truchement du jeu de mots, sensible en français, nous pouvons distinguer la belle collusion de deux sens irréconciliables qui résume en elle-même l’essentiel du sentiment du beau. D’un côté, l’Unité retrouvée entre soi et l’univers, présente, évidente, irréductible, celle dont l’oubli fait notre quotidien et sa redécouverte, la sensation du divin. De l’autre, l’Indistinct, indéterminé, l’indéfinissable flou qui surgit en nous lorsque le trouble de la beauté s’installe et met en mouvement la mécanique du sentiment. Et c’est aussi seulement parce qu’il est à la fois les deux que le beau l’est. Émotion esthétique inextricablement mêlée à une forme de compréhension, la beauté réalise la jonction entre nature et culture, œil et esprit, attirance et ressemblance, force et fragilité, préservation et évolution, semblant jouer de l’harmonie des antagonismes, des dissonances, semblant se jouer de l’idée même de laideur comme l’amour se joue de la peur. Émotion raisonnée, concept instinctif, en prise aux fondements de notre être, la beauté nous amène à une prise de conscience qui élargit le monde. Moteur de toute humanité dans l’humain, elle le relie à travers les âges à son origine et à son devenir. Nous ne pouvons alors que regretter de ne pas rencontrer au détour des pages un extrait du Jeu des perles de verre, dans lequel Hermann Hesse élevait le beau en système politique, et jusqu’à ses limites. Ce qui nous conduirait à questionner Malraux : le XXIe siècle sera-t-il beau ou ne sera-t-il pas ?

La Beauté,
anthologie de textes choisis par Frédéric Brun,
éditions Poesis, 320 p., 21 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°726 du 1 septembre 2019, avec le titre suivant : Comment le beau l’est

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