Un ouvrage abondamment illustré analyse le rôle artistique et politique de ce motif dans l’iconographie de la peinture italienne du XVIe siècle.
Issu d’une thèse soutenue à l’École pratique des hautes études, Peindre pour la mémoire étudie les représentations et enjeux autour de la bataille dans la peinture italienne du XVIe siècle. Pour ce faire, Pauline Lafille, maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne et contemporaine à l’université de Limoges, adopte une approche pluridisciplinaire alliant la culture politique et militaire du Cinquecento et l’abondante production artistique, aussi bien visuelle que théorique, de ce siècle foisonnant et riche en innovations. S’appuyant sur la littérature de cette période, l’autrice observe en préambule que les batailles peintes, malgré leur omniprésence dans les grands décors de la Péninsule, sont alors uniquement considérées comme un sujet et non comme un genre à part entière.
La réflexion menée par Pauline Lafille se structure en cinq chapitres chrono-thématiques. Partant du contexte troublé des guerres d’Italie, elle cherche à démontrer que la bataille devient ainsi « un motif croissant de l’iconographie politique alors que l’humanisme, reprenant l’art de la guerre antique, contribue à l’émergence des armées et des États modernes ». Ces conflits incessants jouent, à cet égard, un rôle « stimulant mais paradoxal » dans la production picturale de cette époque. Selon l’autrice, ils « empêchent la cristallisation mémorielle des faits contemporains, mais suscitent […] l’urgence d’une peinture politique efficace, où l’actualité se lit en filigrane ».
Durant la première moitié du XVIe siècle, Léonard de Vinci, Raphaël, Titien, ainsi que Michel-Ange, mais aussi leurs nombreux émules, font de la scène de bataille un sujet de démonstration artistique et de virtuosité de premier ordre. Ces grands maîtres réalisent quatre projets, à savoir Anghiari, Constantin, Spolète et Cascina, qui deviennent rapidement des icônes de l’art de la Renaissance, malgré des destinées matérielles contrariées. Pauline Lafille offre un regard nouveau sur ces œuvres, pourtant très connues et abondamment étudiées, à travers une large focale combinant une analyse des sources littéraires et archivistiques et le rappel de leurs contextes, afin de mieux comprendre les solutions plastiques proposées, leurs fonctionnements ainsi que leurs postérités respectives.
À partir du retour de la paix sous l’égide impériale, durant les années 1550, la situation politique italienne est relativement stabilisée. Les scènes de bataille viennent alors embellir les décors d’apparat des palais princiers et seigneuriaux où elles servent à la mise en avant des fastes familiaux et dynastiques. L’ostentation de soi devient ainsi une norme ornementale et sociale qui rend visibles la noblesse, la réputation et les nombreuses autres vertus des commanditaires. Pauline Lafille distingue néanmoins deux ensembles, la salle des Cinq-Cents du Palazzo Vecchio à Florence, et la salle du Grand Conseil au palais des Doges à Venise, qui glorifient l’État, ses ambitions politiques, son histoire et sa puissance militaire.
Durant les dernières décennies du Cinquecento, les célébrations du siège de Malte (1565) et de la bataille de Lépante (1571, [voir ill.]) confrontent les peintres à l’épreuve d’une nouvelle contemporanéité et à une recherche accrue d’exactitude, selon l’historienne de l’art. Le développement de la gravure militaire d’actualité, mais aussi de la cartographie, de la topographie et des schémas tactiques, conduit à de nombreuses transformations et à un nouveau traitement de ce type de sujet.
Peindre pour la mémoire. La bataille dans la peinture italienne du XVIe siècle est une étude rigoureuse, menée avec brio et sagacité. Pauline Lafille signe un ouvrage érudit, abondamment illustré et accessible. Loin d’épuiser cette passionnante thématique, l’autrice en montre au contraire la grande richesse ainsi que ses nombreuses finesses et évolutions. Souhaitons que cette nouvelle publication parvienne à créer une émulation permettant l’émergence de sommes similaires sur d’autres périodes et aires géographiques.
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Ce que peindre la bataille voulait dire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Ce que peindre la bataille voulait dire