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Entre-nerfs

Catalogue des peintures et sculptures de l’Académie nationale de médecine

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 24 novembre 2020 - 745 mots

Publiée par les éditions Snoeck à l’occasion du bicentenaire de l’Académie nationale de médecine, une somme étourdissante étudie sa collection de peintures et de sculptures et, ce faisant, dresse une certaine histoire du goût. Magistral.

Jérôme van Wijland (dir.), Académie nationale de médecine. Catalogue des peintures et sculptures, Snoeck
Jérôme van Wijland (dir.), Académie nationale de médecine. Catalogue des peintures et sculptures
© Snoeck

L’Académie nationale de médecine fait partie de ces institutions dont le prestige le dispute au secret, tout du moins à la discrétion. D’elle, on sait peu de choses – une adresse, l’identité de ses membres et l’aura de son nom. Pour le reste, la spéculation est de mise, et seuls l’entrebâillement des portes et la ferveur du souvenir autorisent quelques hypothèses. Aussi, lorsqu’un ouvrage entreprend de lever le voile, l’exigence est de mise, au risque d’enfanter une occasion ratée et, avec, d’ajourner à une date frustrante la révélation escomptée. Par chance, ce en vertu d’un soin scientifique et d’une précision éditoriale absolument remarquables, cette somme monumentale comble l’horizon d’attente. En tous points, ou presque.

Élégance et apparat

Cet ouvrage relié se distingue par son grand format (28,7 x 34,7 cm) et son épaisseur (488 pages). Réputé sérieux, le genre du catalogue n’appelle pas l’originalité ni l’excentricité. La première de couverture est d’une grande sobriété puisqu’elle accueille, outre le titre, un détail éloquent de l’Épidémie d’Espagne (1806), grande machine de l’Espagnol José Aparicio où sourdent une inspiration davidienne et, plus encore, l’influence manifeste des récents Pestiférés de Jaffa, présentés par Gros au Salon de 1804. Sur la quatrième figurent quelques lignes programmatiques ainsi que le détail du portrait d’Albert Robin (1889) par François Thévenot, d’une élégance tout à la fois académique et décontractée.

L’écart esthétique et chronologique entre ces deux tableaux ne saurait être anodin, il reflète l’amplitude d’une collection, peuplée de vastes compositions susceptibles de concurrencer la peinture d’histoire et de portraits d’apparat destinés à exalter la mémoire d’anciens académiciens, dont l’effigie pouvait intégrer l’Académie de médecine après une période purgatoire de cinq années suivant leur décès. Si les œuvres ici convoquées, destinées à commémorer les grandes heures de la discipline ou à célébrer certains membres, évoluent nécessairement dans un certain académisme – institutionnel, mais aussi artistique –, elles n’en demeurent pas moins passionnantes et, sans conteste, d’un intérêt majeur pour l’histoire de l’art, et du goût.

Connaissance et reconnaissance

Signée Jérôme van Wijland, le directeur de la publication, l’étude liminaire explore remarquablement les « stratégies d’exhibition » qui, à la faveur des déménagements de l’Académie – de la faculté de médecine, en 1820, à son installation actuelle rue Bonaparte, depuis 1902, en passant par l’hôtel de Poulpry et la chapelle de la Charité –, affirmèrent diversement la visibilité des peintures et des sculptures, qu’elles fussent présentées dans la salle des séances ou dans la salle des pas perdus, surplombant ici les académiciens ou côtoyant là les visiteurs – amis, journalistes ou malades venus recevoir gratuitement des soins dans cette demeure du savoir, ainsi que le rappelle une édifiante gravure de Louis Sabattier (1898).

Pourvue d’un précieux inventaire des objets mobiliers, dressé en 1833, et aujourd’hui riche de deux cent soixante numéros, l’institution bicentenaire héberge des toiles de Bonnat, Delaroche, Duplessis ou Gérard, acquises tantôt par commande (Léon Lhermitte, La Leçon de Claude Bernard, 1889), par don (Hyacinthe Rigaud, François Gigot de Lapeyronie, 1743-1744) ou par legs (Édouard Vuillard, Le Docteur Vaquez à l’hôpital Saint-Antoine, 1915-1921). En d’autres termes, cette variété des modes d’acquisition exprime les libéralités d’une médecine embourgeoisée, soucieuse d’asseoir par l’œuvre d’art son mérite et son honneur, son savoir et son pouvoir, sa connaissance et sa reconnaissance.

Érudition et probité

Si le portrait peint permet de conforter une position sociale, ainsi que l’analyse Jérôme Farigoule dans un essai assignant doctement Rembrandt, Devéria et Liebermann, la sculpture est un médium qui, parcouru par un fantasme de vraisemblance, permettait de faire revivre au mieux un disparu, de donner corps à l’insigne absent. Aussi, le lecteur regrettera peut-être que les sculptures, eu égard à leur nombre et à l’étude savante d’Anne Pingeot, ne soient pas accompagnées de notices individuelles qui, érudites et parfaitement irréprochables s’agissant des peintures, auraient permis d’approcher historiquement et stylistiquement des pièces majeures, parmi lesquelles le Docteur Delachambre (1885) d’Ernest Barrias, le Docteur Charcot (1884) de Jules Dalou ou La Parkinsonienne (1895) de Paul Richer.

Ce regret sera vite consolé par une profuse liste des noms, permettant de circuler dans cette somme monumentale, ainsi que par l’inventaire des bustes réputés introuvables, lequel vient prouver que, en dépit de son goût pour la discrétion, l’Académie nationale de médecine a également celui de la transparence et de la probité. Exemplaire, donc.

Jérôme van Wijland (dir.),
Académie nationale de médecine. Catalogue des peintures et sculptures, Snoeck, 488 p., 500 ill., 40 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : Catalogue des peintures et sculptures de l’Académie nationale de médecine

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