Boutique de musée, le supplément d’art

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 20 novembre 2008 - 1811 mots

En quelques années, les boutiques de musées sont devenues un must en matière de cadeaux originaux. Copies de parures antiques, foulards inspirés de maître, vaisselle royale, produits dérivés des expositions… leurs catalogues visent tous les goûts et tous les budgets.

En ces temps de crise, les Français sont en quête de sens, nous répète-t-on à l’envi. Les cadeaux artistiques, forts de leur supplément d’âme, en bénéficieront-ils à l’occasion de Noël ? Copies de chefs-d’œuvre ou produits dérivés d’expositions sont effectivement très prisés. La Réunion des musées nationaux (RMN), qui gère une cinquantaine de boutiques en France parmi les plus prestigieuses (Le Louvre, Orsay, Versailles…), observe une progression du chiffre d’affaires de ses points de vente malgré la baisse de fréquentation enregistrée par certains musées. Si les moulages de la Vénus de Milo ou de la Victoire de Samothrace, comme les verres Abeille inspirés d’un nécessaire de voyage de Napoléon ou l’ours blanc de François Pompon (voir p. 33) ont longtemps figuré au palmarès des meilleures ventes, bien d’autres trésors sont disponibles parmi les dizaines de milliers de références aujourd’hui proposées.
Ces boutiques se sont effectivement professionnalisées depuis leur création dans les années 1980, complétant leurs traditionnels moulages par ces fameux objets de merchandising inspirés des collections permanentes ou des expositions temporaires. La rétrospective Toulouse-Lautrec a ouvert le bal au Grand Palais en 1992, au grand dam de puristes indignés de voir la boutique se muer en « supermarché Lautrec ». Mais ces points de vente pas comme les autres ont compris, études de marché à l’appui, qu’ils devaient, à côté de produits d’appel destinés à un large public, se positionner sur les cadeaux d’exception, y compris pour les articles à prix raisonnable, afin d’affirmer leur différence.

La Réunion des musée nationaux en avant, vente !
La concurrence que se livrent les boutiques de la RMN, du Printemps Design pour le Centre Pompidou, des Galeries Lafayette pour les Arts décoratifs, de la Galerie de Paris proche du Palais Royal pour la Manufacture de Sèvres, favorise l’innovation et la qualité. D’autant que s’imposent également sur le créneau des cadeaux originaux, des espaces créatifs décalés, comme Colette mêlant rue Saint-Honoré mode, art, design, et bar à eaux, ou BlackBlock rassemblant au Palais de Tokyo objets d’artistes et produits de drugstore sous la houlette d’André, graffitiste et gérant de la boîte de nuit le Baron.
En réaction, la RMN a entrepris de personnaliser ses espaces dans chacun des musées où elle est présente, de les rénover, d’ouvrir de nouveaux comptoirs comme à Versailles, au MuCEM de Marseille, à la Galerie des Gobelins, à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris, au musée Chagall de Nice, en attendant de s’attaquer bientôt au saint des saints, la boutique du Louvre dans le cadre de l’ambitieux projet Pyramide… Les assortiments sont régulièrement repensés, du musée des Armées à celui des Beaux-Arts de Lille, Nancy ou Grenoble, du musée Malraux du Havre au château de Fontainebleau, et des opérations spéciales sont imaginées lors d’événements majeurs tel « Pharaon, homme, roi et dieu » à Valenciennes.
La Manufacture de Sèvres, depuis l’arrivée en 2003 de David Caméo, son directeur, met l’accent sur la diffusion de pièces classiques ou méconnues du répertoire, et réinvestit la création contemporaine, avec notamment une collection de bijoux-sculptures en porcelaine co-éditée avec le 107 Rivoli, la boutique du musée des Arts décoratifs (voir p. 32). Cette dernière, sur laquelle veille Michel Roulleau, directeur général d’Artcodif, filiale commerciale des Arts décoratifs, et par ailleurs directeur général adjoint des Galeries Lafayette, se targue d’opérer une sélection très pointue des articles proposés. Avec succès. Le savoir-faire acquis a permis aux Galeries Lafayette d’être retenues pour la gestion de la Galerie de l’Opéra Garnier et d’être consultées par des institutions culturelles étrangères. Enfin, la Boutique Printemps Design du Centre Pompidou estime être perçue comme « un lieu référent du design à Paris », par les Français comme par les étrangers, selon sa directrice Stéphanie Prudor.

Rats de musées, art shoppers… Quel client êtes-vous ?
Si leurs profils varient, tous les acheteurs recherchent dans ces magasins des cadeaux vecteurs d’émotion. Thomas Grenon, directeur général de la RMN (lire L’œil n° 604), les répartit en trois groupes. Les amateurs d’art éclairés, « rats » de musées, déjà possesseurs d’objets anciens, représentent environ 5 % des clients. Pour assumer leur passion, ils acquièrent des moulages ou des gravures réalisés dans les ateliers du Louvre dont le prix dépasse les 150 euros.
Les art shoppers, 15 % de la clientèle, considèrent que ces cadeaux valorisent la personne qui les offre comme celle qui les reçoit. Acquérir des objets dans un musée est pour eux un gage d’authenticité, de plus-value culturelle, d’ancrage dans l’histoire. Ils craquent, parmi les collections nationales, pour des répliques de boucles d’oreilles de l’Égypte ancienne, des copies de bracelets de l’âge de bronze, des estampes, de la vaisselle, et dépensent 30 à 150 euros.
Enfin, les visiteurs occasionnels et les touristes effectuent des achats d’impulsion de 20 à 30 euros. Ils emportent un souvenir de l’exposition, pour eux-mêmes ou afin de partager ce moment privilégié avec des proches. « C’est aussi un acte de transgression car dans les salles, ils n’ont pas le droit de toucher ! Ils ramènent en quelque sorte un morceau du musée avec eux », commente Thomas Grenon.
Au 107 Rivoli, les étrangers représentent 40 % des acheteurs, et les grandes familles françaises qui aiment les créations d’exception sont également des fidèles. Ici, l’achat moyen est en effet de 150 à 160 euros, avec des pièces de Baccarat, Christofle, Daum, Sèvres… Des créateurs comme Christian Lacroix viennent même y commander certains ouvrages. À la Boutique Printemps Design du Centre Pompidou, les acheteurs sont très cosmopolites, à l’image de la foule arpentant les espaces variés de cette institution polyvalente, de l’étudiant au touriste en passant par l’intellectuel ou la mère de famille. Mais là encore il y a des Parisiens habitués du lieu, surtout au moment des fêtes, soucieux de dénicher des produits décalés, facturés principalement entre 20 et 40 euros, de la papeterie Matali Crasset aux incontournables objets design de Starck.
À la Manufactures de Sèvres, les prix des rééditions parfois effectuées sur commande, sont nettement plus élevés (100 euros l’assiette environ) et l’on s’adresse davantage à des amateurs d’art, y compris de jeunes collectionneurs qui apprécient les biscuits et les bleus de Sèvres.

Soucieux de leur image, les musées misent sur la qualité
Ces achats coups de cœur sont-ils d’un bon rapport qualité/prix ? Qui les fabrique, comment sont-ils choisis, quelles garanties offrent-ils ? Force est de constater que ces boutiques ont placé la barre haut. La Réunion des Musées nationaux estime que cela fait partie de « sa mission de démocratisation culturelle ». Elle dispose d’un grand privilège : ses ateliers de moulage et de chalcographie, conservatoires de savoir-faire ancestraux.
L’atelier de moulage, né de la volonté des Lumières, gardien d’un patrimoine royal puis national, fait revivre depuis deux cents ans les chefs-d’œuvre de la sculpture, à travers plus de six mille moules retraçant les créations de l’Antiquité à nos jours. Cet hiver, la RMN a reproduit des bustes d’enfants et des amours : en résine patinée, nés de la prise d’empreinte sur les biscuits originaux conservés au musée national de Sèvres, ils sont certifiés.
L’atelier de chalcographie, fondé en 1797, conserve une collection de treize mille planches originales gravées sur cuivre, sous la responsabilité du département des arts graphiques du Louvre ; il s’enrichit toujours grâce à l’acquisition de gravures anciennes et aux commandes passées à des artistes contemporains. Dans les boutiques de la RMN, on peut ainsi trouver des estampes florales de l’herbier de Louis XIV aquarellées à la main, une ligne Arts de la table rééditée avec la Faïencerie de Gien à l’occasion de l’exposition « L’Herbier du Roy » au Cabinet d’histoire naturelle du Jardin des Plantes (voir p. 31). « Nous faisons appel à de grands fournisseurs sélectionnés sur des critères de qualité et de prix de revient, comme les Porcelaines Raynaud pour la vaisselle de Marie-Antoinette, Lalique pour la parure de perles baroques en cristal de la Reine, ou Tissage Moutet pour le linge de maison. Des experts nous assistent au moment de la conception puis du contrôle qualité de la fabrication », précise Thomas Grenon.
La Manufacture de Sèvres, qui a également le souci de perpétuer une tradition, confie à ses propres ateliers la réédition des pièces anciennes, mais elle convie aussi des artistes contemporains à prolonger son histoire. Annabelle d’Huart a ainsi créé une ligne de deux cent cinquante bijoux, au terme d’une collaboration de deux ans avec les ateliers de Sèvres. « Il s’agit de renouveler une image un peu désuète de la Manufacture, encore trop associée à l’État français et aux cadeaux protocolaires », observe Laurence Maynier, secrétaire générale adjointe.
L’image, c’est aussi clairement la préoccupation du 107 Rivoli comme de la boutique design du Centre Pompidou. Les Galeries Lafayette et Le Printemps réaffirment ainsi leur proximité avec les créateurs et leur positionnement avant-gardiste. Là encore le choix se porte sur des signatures pointues, validées par un comité artistique solide. Hélène David-Weill, présidente du musée des Arts décoratifs, ainsi qu’un membre du cabinet de Christine Albanel, ministre de la Culture, sont présents dans celui du 107 Rivoli ; le Centre Pompidou a aussi un droit de regard sur la Boutique Printemps Design, laquelle profite de son emplacement pour accueillir des expos-ventes temporaires d’artistes reconnus.

La commande : un coup de pouce donné aux créateurs
Si elles constituent des vitrines, ces boutiques sont aussi généralement des sources de profit, dont bénéficient au final la création et les musées. Ainsi, elles représentent les 2/3 du chiffre d’affaires de la RMN, soit 60 millions d’euros. En tant que concessionnaire, la RMN verse une redevance aux musées et réinvestit les bénéfices de ses points de vente en soutenant l’organisation d’expositions, l’acquisition d’œuvres, la diffusion culturelle.
Les boutiques de musées constituent également un tremplin pour de jeunes artistes. « Au 107, nous faisons la courte échelle aux jeunes créateurs », souligne Michel Roulleau ; « De plus en plus ils viennent spontanément à la boutique Printemps Design de Pompidou proposer leurs nouveautés », observe Stéphanie Prudor ; « Inviter des artistes, c’est une tradition à la Manufacture depuis sa création souhaitée par Louis XV qui jugeait la porcelaine de Saxe trop chère. Ces cinq dernières années, pas moins de quatre-vingts artistes contemporains ont été accueillis», insiste Laurence Maynier. Le coup de pouce à la création, l’autre bonne raison de déposer au pied du sapin des cadeaux d’art.

Les CA

Le Louvre
20 millions d’e de chiffre d’affaires.

Musée d’Orsay
9 millions d’e.

Château de Versailles
8 millions d’e.

Galeries du Grand Palais
6 millions d’e.

107 Rivoli
2,5 millions d’e.

Printemps Design Pompidou
1,5 million d’e.

Manufacture de Sèvres
1,37 million d’e (galeries de Paris et Sèvres) hors ventes exceptionnelles.

La boutique du MoMA depuis chez soi

De la toile peinte à la toile Internet, il n’y avait qu’un pas que les boutiques de musées ont allègrement franchi. Quel musée ne possède pas aujourd’hui sa propre échoppe en ligne ? « MoMAstore », la boutique virtuelle du Museum of Modern Art à New York, propose ainsi à ses clients internautes, en plus des traditionnels « rayons » carterie et catalogues, des produits dérivés de ses expositions ainsi qu’un coin « bonnes affaires ».
Tout aussi performant, le « Shop Online » des musées Tate – Britain, Modern, etc. – à Londres s’événementialise en home page aux couleurs de ses expositions temporaires : Bacon et Rothko. Originale, la fonction « Art on demand » (l’art à la demande) permet même de sortir du catalogue en commandant la reproduction sur papier de l’œuvre de son choix. Ophelia, chef-d’œuvre du préraphaélite Sir John Everett Millais, est ainsi proposée dans trois formats allant du 20 x 50 cm (20 euros) au 70 x 100 cm (50 euros).
Orsay et le Louvre – sur le site duquel il faut de la bonne volonté pour trouver le lien vers la boutique – pointent quant à eux vers le site de la RMN (www.boutiquesdemusees.fr). Les moulages y ont bien entendu leur place, avec la possibilité de les commander en ligne.
Pratiques, toutes ces boutiques en ligne offrent divers modes de recherche, par prix ou par produits, ainsi que le paiement sécurisé en ligne. Pas mal pour éviter l’affluence de Noël !

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°608 du 1 décembre 2008, avec le titre suivant : Boutique de musée, le supplément d’art

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