Art, télévision et Internet

Avec la récente création de l’émission Artiste dîtes-vous ?, Canalweb.com a réussi là où la télévision a échoué : proposer pas moins de quatre rendez-vous hebdomadaires qui balayent peu ou prou tous les domaines de l’art et attirent en moyenne 1200 visiteurs par mois. Consultation à toute heure grâce à l’archivage, exploitation intelligente des ressources du multimédia : plusieurs paramètres concourent à rendre ces émissions intéressantes en dépit d’une qualité d’image encore médiocre, mais qui ne manquera pas de s’améliorer à mesure des progrès de la technologie (haut débit, ADSL…). En outre, Canalweb vient de lever 140 millions de francs supplémentaires et peut ainsi consacrer un budget moyen de 30 000 F par émission…
Animée par le Centre des auteurs-artistes plasticiens, Artiste dîtes-vous ? se propose de questionner le statut de l’artiste dans la société. Économie du marché de l’art, missions des FRAC, non respect du droit d’auteur, place de la critique… Le galeriste Emmanuel Perrotin (« Je vais aller fayoter un peu partout en France auprès des conservateurs, les inviter à dîner, faire le pied de grue… ») ou le journaliste du Monde Harry Bellet (« Ce ne sont pas les critiques qui comptent, ce sont les collectionneurs : ce sont eux qui payent ! ») se sont déjà prêtés au jeu, adoptant pour l’occasion une liberté de ton de bon aloi sans doute liée à la confidentialité présumée du média lui-même. Mémoires actives est un magazine d’histoire de l’art et de théories de l’art contemporain qui s’est déjà offert le luxe d’inviter des personnalités aussi réputées que l’historien de l’art Daniel Arasse, le pape du Nouveau Réalisme Pierre Restany ou, récemment, le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman. Son intervention a d’ailleurs permis de mettre en valeur les nouvelles technologies de l’information, comme c’est trop rarement le cas sur le Web. En effet, la douzaine d’images qu’il commente sont parfaitement visibles grâce à un book que l’internaute peut consulter, parallèlement à la vision de l’émission. Un dispositif évidemment hors de portée de la télévision traditionnelle. Prochain invité, le 9 juin, Jean Baudrillard. TV Vernissage aligne pour sa part une série de reportages tournés à l’occasion de divers événements artistiques (Fiac, Art Brussels 2000…) ou en compagnie d’artistes, dans leur ateliers (Errò, Antonio Segui…) et lors de vernissages (François Morellet, Antonio Recalcati…). Même si les images tournées, par exemple, dans les galeries de Chelsea à New York ou pendant la Biennale de Venise sont là encore de qualité « amateur », elles ont au moins le mérite d’exister et d’être porteuses d’informations, pour qui ne s’arrête pas à des considérations techniques. En complément de ces émissions de plateau, Uni TV diffuse principalement des documents d’archives sur l’histoire récente de l’art contemporain : les performances Frigo à Lyon entre 1979 et 1989 ou l’aventure Fluxus. La recette de Canalweb semble porteuse puisque les responsables du site lancent ce mois-ci Dard’art TV, qui devrait être consacrée au marché de l’art, et Télémuseum, qui permettra à des conservateurs de commenter les œuvres dont ils ont la garde. D’autres projets, liés notamment à l’art vidéo et à l’art numérique sont également en gestation.
Face à ce poids lourd, l’autre « chaîne » en ligne d’origine française, Tv-art.net, se veut «  un média artistique télévisuel œuvrant dans les champs de la création contemporaine ». Loin de disposer des moyens financiers de Canalweb, ce projet développé par David Guez n’adopte pas la logique de diffusion en live et n’est remis à jour que mensuellement. Environ 300 documents vidéo et numériques sont néanmoins accessibles : reportages, interviews, extraits d’œuvres, créations, performances... À signaler, la section Carte blanche, lieu d’expérimentations débridées en tous genres où vous pourrez, par exemple, « prendre un bain dans la baignoire de Thierry Paulin, serial killer de 1984 à 1987, 18 victimes » grâce au tour opérateur NVD, initiales de l’artiste Nathalie Van Doxell… Et ailleurs ? Force est de constater que la France fait figure de pionnière en la matière, puisque le site américain ArtHistoryTV.com, lancé seulement au mois de janvier 2000 avec force promotion, ne diffuse pour l’instant que cinq documents… en différé. Cette chaîne spécialisée appartient pourtant à ForeignTV, « dot com » promue par Microsoft, qui a levé 10,2 millions de dollars lors de son introduction au Nasdaq en mai 1999. La France s’était déjà distinguée en développant le catalogue de CD-Rom culturo-artistique le plus important au monde, serait-elle en passe de récidiver dans le même domaine avec la production en ligne ?