Société

Architectes des songes

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 février 2019 - 470 mots

PARIS

Aviez-vous remarqué que l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien n’ont que « dream », « Traum », « sueño » et « sogno » là où nous disposons des mots « rêve » et « songe » ? Il est amusant de relever qu’à l’occasion de la rentrée littéraire de janvier, deux ouvrages au moins, un essai et un roman, donnent vie à des songes, à la croisée de l’art et de l’histoire.

Dans Chambord-des-Songes, Charles Dantzig remeuble avec la verve qu’on lui connaît l’extraordinaire château vide de Chambord, en faisant revivre son histoire depuis sa construction jusqu’à nos jours. « Quand François Ier a eu l’idée de conquérir l’Italie, il a rêvé, il a été fait prisonnier. Quand il a eu l’idée de Chambord, il a songé et nous a légué l’un des plus beaux châteaux du monde », écrit l’auteur qui songe à son tour. Autre univers dans Le Songe de Goya : la romancière Aurore Guitry, arrière-petite-nièce du célèbre Sacha, invente et met en scène le délire de l’artiste qui aurait engendré la série des Caprices, entre 1796 et 1797.

Pas question pour ces écrivains de faire œuvre d’historien ou d’historienne de l’art. Si Charles Dantzig est allé s’abreuver au plus près des sources pour ressusciter ce qu’ont « vu » et « contenu » les murs de Chambord, son château est aussi bien le fruit du songe de François Ier que le sien. Il y convoque écrivains et artistes qu’il aime, comme il dialogue avec les gens du passé de Chambord. Avec une plume acérée, l’auteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française et de L’Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, toujours délicieusement égoïste, toujours un brin capricieux, s’amuse ainsi à dresser des listes aussi drôles et grinçantes que légères et poétiques des « choses qu’ils avaient » et de celles « qu’ils comprendraient », ou « des chambres dégénérées » qui s’opposent à la pièce « raisonnable » de François Ier. Et le lecteur de s’égarer, s’étonner, s’amuser et s’émerveiller au fil des pages comme le promeneur dans les méandres de Chambord.

Quant à Aurore Guitry, elle a élaboré son quatrième roman, consacré à la genèse des Caprices de Goya, dans le cadre d’une thèse en « théorie et pratique de la création » à l’université d’Aix-Marseille, sur la question du rapport de l’écriture à l’image. Elle a regardé Goya, comme elle a lu les œuvres d’écrivains qui l’ont aimé avant elle (La Chouette aveugle de Sadegh Hedayat, Dieu ne finit pas de Pierre Michon, Rêves de rêves d’Antonio Tabucchi). Par des expressions colorées, empruntées à la correspondance de l’artiste, Aurore Guitry nous livre ainsi la chair même de ce peintre sensible aux idéaux des Lumières, plongeant au plus profond de lui-même pour oser cesser de plaire. Là encore, le style cherche à exprimer le sujet du songe : nerveuses, rythmées, les phrases donnent à ressentir la pointe sèche des terrifiants Caprices. Ou comment construire un songe littéraire à partir d’un songe artistique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Architectes des songes

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