Amanda Renshaw - « Imaginez que vous puissiez créer la plus belle collection au monde »

Par Pierre Pons · L'ŒIL

Le 17 décembre 2012 - 923 mots

Amanda Renshaw est directrice éditoriale chez Phaidon. Elle a piloté la réalisation du Musée absolu, un livre qui se définit d’avantage comme un musée imaginaire qui rassemblerait la collection idéale.

Pour Richard Schlagman, l’ancien président des éditions : « Le Musée absolu est le projet le plus ambitieux jamais entrepris par Phaidon. » Et pour cause, exceptionnel par son format (46 x 32 cm) et par son poids (8 kg), ce livre ambitionne de réunir la « plus belle collection d’art au monde », à faire pâlir les conservateurs du Louvre, du Met et de l’Ermitage réunis : 3 000 œuvres, dont 823 peintures, 406 sculptures, 284 dessins, 244 céramiques, 50 photographies…, « prêtées » par 650 institutions, soit plus de trois millénaires racontés par tous les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Aucun chapitre dans ce livre et pas de pagination, mais une succession de départements et de salles, classés et numérotés par époques et par écoles, comme dans un musée universel. Le résultat, soutenu par une qualité de reproduction exceptionnelle, est étourdissant. S’il ne devait rester qu’un livre, ce serait ce musée. Absolu.

Pierre Pons : Comment est né le projet d’un tel livre ?
Amanda Renshaw : Lors d’une réunion de publication, nous cherchions des sujets de livres lorsque notre éditeur est entré avec une idée apparemment géniale : « Imaginez, nous a-t-il dit, que vous puissiez créer la plus belle collection d’art au monde. Imaginez que vous ayez un espace et un budget illimités et que vous puissiez mettre la main sur les œuvres d’art les plus importantes, les plus belles et les plus désirables et que vous les rassembliez en un seul et même lieu : un livre ! »

Je me suis demandé dès lors comment cette collection pouvait être plus belle que celle du Met, du Louvre ou du Prado. Le Prado conserve Les Ménines de Vélasquez, mais il ne possède pas la Joconde de Vinci, qui est au Louvre. Le Louvre, lui, ne détient pas La Persistance de la mémoire de Dalí, qui est au MoMA, qui n’a lui-même pas Guernica de Picasso, qui se trouve au Reina Sofía… Toute collection est partielle, et aucune ne peut raconter une histoire complète, de la peinture rupestre à l’art contemporain.

De la même manière, les musées ne peuvent souvent pas accueillir les vitraux médiévaux ou des créations spécifiques comme le Lightning Field de Walter De Maria. La beauté de notre musée était que nous pouvions aussi y faire entrer des œuvres in situ.

P.P. : Combien de personnes ont travaillé à la réalisation de ce livre ?
A.R. : Cent personnes ont travaillé durant dix ans pour publier ce Musée absolu, un livre de 992 pages qui recense près de 3 000 œuvres. L’équipe était composée d’historiens de l’art, de conservateurs, d’universitaires, de directeurs de musées du monde entier que nous avons choisis pour leur savoir, mais aussi pour leur enthousiasme. Leur rôle a été de suggérer comment chaque « galerie » de ce musée devait être divisée, et quelles œuvres iraient dans quelles « salles ». Ensemble, nous avons passé en revue des dizaines de milliers d’œuvres de milliers de collections pour réaliser au final un musée imaginaire avec des pièces issues de près de 650 collections publiques et privées de plus de 60 pays.

P.P. : A-t-il été difficile de sélectionner ces trois mille œuvres ?
A.R. : Le choix des œuvres antérieures aux années 1950 a été relativement facile, l’histoire ayant, dans une certaine mesure, fait la sélection pour nous. Les discussions se sont davantage orientées sur l’art contemporain. L’art des vingt-cinq dernières années n’a pas encore été classé par mouvements. Nous avons dû faire nos propres regroupements. Aujourd’hui, les artistes utilisent un large éventail de techniques, et nous avons pensé qu’il serait intéressant de le documenter. L’un des plus longs débats a concerné Damien Hirst. Devait-il y être ou non ? Plusieurs conservateurs et experts ne le souhaitaient pas, d’autres étaient tout aussi catégoriques : Hirst a façonné l’histoire de l’art de notre temps. Quelle est sa contribution ? Il a transformé l’art en marchandise. Et c’est ce que nous avons voulu montrer.

Nous avons donc choisi de présenter son requin et une armoire à pilules et, en face, nous avons publié ce qui n’a jamais été considéré comme une œuvre d’art : la vente de 223 de ses propres œuvres aux enchères en septembre 2008 qui, sans passer par ses galeristes, a dégagé un montant de 112 millions de livres. Le jour même où Lehman Brothers faisait faillite, Hirst démontrait que son travail était une marchandise spéculative. C’était un happening.

P.P. : Entre les « salles », vous montez quelques expositions thématiques. Pourquoi ?
A.R. : Étant un « musée », nous avons emprunté des œuvres de notre collection permanente pour en faire des expositions temporaires. « Picasso et les femmes » est l’une de ces expositions. Notre défi a été de raconter une histoire complète de l’art, et pour cela de concevoir l’ouvrage comme un espace physique. Il ne s’agit pas de montrer à travers cette collection mes artistes favoris, d’ailleurs beaucoup d’entre eux n’y sont pas présents.

P.P. : Pourquoi avoir passé dix ans sur un tel projet ?
A.R. : L’art peut-être difficile à comprendre, et je pense que l’acquisition du savoir est indispensable si l’on veut en jouir. Ce livre ne cherche pas à se substituer au musée. Rien ne remplace la vue de l’original. Il est juste là pour faire de votre prochaine visite au musée un moment de plaisir.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Amanda Renshaw - « Imaginez que vous puissiez créer la plus belle collection au monde »

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