Art contemporain

Marseille et l’art contemporain, une carte à jouer ?

Six mois après l’inauguration du Chevalier Roze, nouveau quartier d’art contemporain près du Vieux-Port, l’année du lancement de Marseille Provence 2018, Marseille serait-elle en train de devenir la destination à la mode ? État des lieux d’un marché où tout reste à faire.

Par Aurélie Romanacce · L'ŒIL

Le 25 mai 2018 - 1064 mots

MARSEILLE

« Marseille, c’est le nouveau Berlin ! », s’exclame Ombline d’Avezac. Derrière cette affirmation un brin péremptoire se cache la coordinatrice du « pôle artistique contemporain », rue du Chevalier-Roze, inaugurée le 26 août dernier. Située entre le Vieux-Port et la Canebière, dans le quartier République, la rue bordée d’immeubles haussmanniens peinait jusqu’alors à attirer les commerces et les habitants aisés de la ville. Pour y remédier, le promoteur ANF Immobilier décide de valoriser le quartier en offrant le bail pendant trois ans à sept acteurs du marché de l’art contemporain et confie la sélection à Ombline d’Avezac. Cette ancienne collaboratrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris choisit des « projets complémentaires et homogènes en fonction de leur réelle implication dans la ville ». La galerie parisienne Crèvecœur, la galeriste belge Catherine Bastide, l’atelier de sérigraphie d’art Tchikebe, l’artiste Wilfrid Almendra, les historiennes de l’art et commissaires d’exposition Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani (South Studio) et le groupe de collectionneurs marseillais Lumière (Atlantis) ont donc été sélectionnés pour investir les lieux. Preuve de son succès, l’inauguration au même moment de la foire marseillaise d’art contemporain Art-O-Rama, avait reçu à l’époque un large coup de projecteur de la presse nationale et locale et avait valu le déplacement du milieu de l’art contemporain parisien dont le directeur du Palais de Tokyo, Jean de Loisy, et la directrice de la Fiac, Jennifer Flay. Le signe que les initiatives privées dans l’art contemporain sont assez rares à Marseille pour être soulignées ? « En tout cas, c’est un projet qui va dans le bon sens », souligne Olivier Ludwig-Legardez, à la tête de l’atelier de sérigraphie d’art Tchikebe avec son frère Julien. « Marseille a besoin d’air frais et d’acteurs privés venus de l’extérieur comme les galeries Crèvecoeur ou Catherine Bastide », poursuit-il. Depuis, même si Ombline d’Avezac révèle qu’ANF Immobilier a revendu le projet à Primonial, le projet artistique ne semble pas menacé.

Galeries privées versus galeries associatives
Mais si la plupart des galeries d’art contemporain marseillaises saluent l’initiative de la rue du Chevalier-Roze, elles restent tout de même sur leur garde. « Cela donne un côté branché avec l’idée qu’on va sauver Marseille des mauvais quartiers », pointe Barbara Satre, codirectrice avec Béatrice Le Tirilly de la galerie Béa-Ba, spécialisée en peinture contemporaine. « Mais si dans trois ans ils décident de fermer, cela va encore donner une mauvaise image de la ville », prévient-elle. « Il y a de la place pour tout le monde », tempère François Vertadier, directeur de la galerie Polysémie. « Mais je ne suis pas sûr que ça attire les foules. Je préfère choisir ma propre localisation. » Située dans le quartier du Vieux-Port, à proximité du Mucem, la galerie Polysémie est spécialisée dans l’art brut et outsider. Outre l’amour pour Marseille, c’est le prix du mètre carré « moins cher qu’ailleurs » qui l’a convaincu en 2013 d’ouvrir une galerie « privée », tient-il à préciser. Une distinction étonnante mais symptomatique d’un milieu de l’art marseillais en grande majorité composé de structures associatives. « De nombreuses galeries se montent en association afin d’encaisser les subventions et payer moins de charges, révèle François Vertadier. « C’est une grande spécialité de Marseille, mais ça fausse un peu le marché », regrette-t-il. Même son de cloche chez Nicolas Veidig-Favarel qui a choisi d’ouvrir Double V Gallery dans sa ville natale, il y a à peine un an. « Il y a très peu de galeries privées à Marseille. 80 % du milieu de l’art est associatif, or la ville manque cruellement de subventions », souligne-t-il. Un constat partagé là aussi par Olivier Ludwig-Legardez de l’atelier Tchikebe. Même s’il salue le travail de fond mené par la scène associative, notamment à travers l’action de la Friche, du Mucem ou du Frac, il souligne qu’« il y a une vraie nécessité de développer un côté plus marchand davantage tourné vers le privé. On ne doit plus attendre d’aides de la ville, on a besoin de construire un vrai marché », poursuit l’éditeur d’art qui a participé à plusieurs foires comme Slick, le YIA ou Art-O-Rama pour se faire connaître auprès de nouveaux collectionneurs.

Convertir un nouveau public
En effet, le marché de l’art contemporain local paraît encore bien fragile. Et ce n’est pas Didier Gourvennec Ogor qui dira le contraire. Cet ancien galeriste, considéré comme le meilleur marchand d’art de Marseille par ses pairs, a décidé de fermer sa galerie en juin 2017 après six ans d’existence et trois crises financières. « Marseille, c’est peut-être le nouveau Berlin, mais ce n’est pas à Berlin qu’on trouve la scène économique », ironise-t-il. « Il n’y a pas le marché pour faire vivre douze galeries d’art contemporain. Le quantitatif en nombre de collectionneurs n’est pas suffisant », poursuit-il. D’autant que les amateurs d’art privilégient les foires, quitte parfois, comble du snobisme, à se rendre à l’étranger pour acheter à une galerie marseillaise ! Didier Gourvennec Ogor rapporte que certains collectionneurs préféraient faire le déplacement à l’Armory Show plutôt que d’acheter directement les œuvres à la galerie Roger Pailhas pour qui il a longtemps travaillé. « C’était plus chic de dire à son entourage qu’on avait acheté une œuvre à New York qu’à Marseille », résume-t-il. Un a priori que les jeunes galeries d’art contemporain tentent aujourd’hui de dépasser en essayant d’attirer un nouveau public. « Nous assumons un rôle de passeur », explique Nicolas Veidig-Favarel, codirecteur de la Double V Gallery, spécialisée dans l’art contemporain d’artistes émergents et reconnus. « Marseille est une ville pauvre qui possède une classe sociale qui a les moyens mais qui ne va pas forcément vers l’art contemporain », poursuit-il. « Les collectionneurs se sont arrêtés à Cézanne. Notre ambition est de les emmener vers du contemporain en soignant la médiation et la communication. » Un constat partagé par Barbara Satre : « Notre pari est de faire venir un public que l’on forme. Il y a encore trop de personnes qui ont peur de pousser la porte d’une galerie. Or nous n’avons pas le choix, il faut qu’on parvienne à convertir le public privilégié des primo-acheteurs, les architectes, psychanalystes, médecins ou avocats, à devenir collectionneurs », affirme-t-elle. Une nécessité afin de faire mentir l’adage qui voudrait « qu’être une galerie médiocre à Paris, c’est toujours mieux qu’être une très bonne galerie à Marseille », conclut Nicolas Veidig-Favarel. 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : Marseille et l’art contemporain, une carte à jouer ?

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