Galerie

Un regard neuf sur Arman

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 8 octobre 2025 - 864 mots

La galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois consacre ses deux espaces de la rue de Seine à une exposition muséale de l’œuvre d’Arman, couvrant quatre décennies de création de l’artiste disparu il y a vingt ans.

Paris. Arman (1928-2005) a-t-il la postérité qu’il mérite ? Pas vraiment, ou pas encore, et la galerie Vallois, qui représente sa succession, s’emploie en cette rentrée à remettre sur le devant de la scène, et du marché, l’œuvre du fondateur du Nouveau Réalisme. En juin dernier déjà, la galerie avait fait sensation sur le secteur Unlimited d’Art Basel avec le monumental Captain Nemo (1996), une création tardive de l’artiste, réalisée à partir d’alambics anciens découpés et ressoudés. C’est la maison Fragonard, connaissant son goût des objets manufacturés, qui avait fait don à Arman de ces appareils à distiller d’une autre époque. Ce dernier en retour avait offert une sculpture au parfumeur de Grasse et en avait gardé une autre pour lui. Cette étrange « antiquité contemporaine » trônait dans le jardin de la demeure de Vence où vit sa veuve, Corice Arman. En se rendant sur place un jour de 2024, Georges-Philippe Vallois – qui siège au comité Arman – a d’un coup eu conscience de son potentiel, dans la perspective d’Art Basel. Le galeriste a soumis son projet à la foire suisse, qui l’a validé pour son édition 2025. Mis dans le secret, Jean Claude Gandur, fidèle collectionneur de l’enseigne parisienne, a craqué à Bâle pour ce qui deviendra une des sculptures phares de son futur musée, à Caen. Dans cette ville où l’appel du large se fait sentir, Captain Nemo fera sans doute une fière mascotte d’extérieur. La transaction – dont le montant, sans doute supérieur à 1 million d’euros, reste confidentiel – a fait office de bande-annonce pour l’exposition qui se tient ce mois-ci rue de Seine, à Paris, dans un judicieux enchaînement.

Cet accrochage, dont le commissariat a été confié au conservateur Bernard Blistène, met en vente une vingtaine de pièces. Il a fallu plus de deux ans pour les acquérir – en dehors de celles directement issues de la succession d’Arman. Deux années auxquelles s’ajoutent trois décennies, durant lesquelles Georges-Philippe Vallois, qui a connu et exposé Arman de son vivant, a beaucoup regardé les cartels des œuvres quand il en voyait exposées en dehors de la galerie, afin d’en repérer les provenances. Une de ses premières acquisitions pour cette exposition a ainsi été Le Piano de Néron (1965), le seul grand format mural de la série relativement limitée des Combustions. Arman, on le sait, a beaucoup exercé ses Colères sur les instruments de musique ; le Centre Pompidou possède d’ailleurs une version « cousine » de destruction de piano réassemblée sur panneau de bois (Chopin’s Waterloo, 1962). D’une indéniable puissance formelle, Le Piano de Néron provient pour sa part de la succession de la collection belge Dotremont. Parmi les autres œuvres phares, dont certaines dialoguent avec des films d’archives, quelques-unes sont sobres et spectaculaires, comme cette Accumulation Renault n°106 (1967) à base de capots noirs, ou grimaçante, comme les Gay Gas Masks (1960) dans leur boîte en bois, ou encore discrète, tel ce Cachet (1956) sur écorce. Nombre d’entre elles ont conservé leur charge subversive, tels ces crucifix entassés autour d’une image du pape, reliquaire ironique joliment baptisé Fétiches de la Secte des Théophages (1960).

Des œuvres dans l’air du temps

L’exposition est une réussite, non seulement parce qu’elle réunit des pièces majeures, mais parce qu’elle parvient à surprendre aussi bien les connaisseurs de l’œuvre d’Arman que ceux qui en ont une idée préconçue, en préférant aux éditions de bronze des années 1980 des curiosités moins galvaudées. Ainsi du Beau Sabreur (1961), une huile sur bois étonnante passée au fil de l’épée.

Arman est peu crédité pour sa contemporanéité, notamment pour sa prise de conscience concernant les déchets de la société de consommation. « Alors que ses premières Poubelles datent de 1959 », note Georges-Philippe Vallois. Celle qui est présentée (Garbage New York) date de 1969 ; c’est une pièce historique que l’on pouvait acheter ici pour moins de 15 000 euros (les prix des œuvres exposées montent cependant jusqu’à plus de 800 000 €). Dans l’entrée de la galerie est installé le Tas des Échanges. Le protocole de cette œuvre activée pour la première fois en 1965 à New York est simple : un fatras d’objets de seconde main dans lequel chacun est invité à piocher en échange d’un dépôt. Le principe d’équivalence de ce troc n’étant pas spécifié, très vite, « l’accumulation se transforme en poubelle », sourit Georges-Philippe Vallois. À croire que cette œuvre conceptuelle (également présentée cet été à la Fondation de Bernar Venet au Muy) agit comme un révélateur des ressorts humains les moins généreux. Elle n’a rien perdu de sa pertinence. Pourtant cet automne, les Beaux-Arts de Paris accueillent dans la chapelle des Petits-Augustins « une installation participative » de l’artiste/designer Harry Nuriev, intitulée Objets Trouvés (2025) qui semble ignorer son existence. « Des cartons de supermarché, alignés avec soin, sont remplis d’objets apportés par les visiteurs et les visiteuses. Chaque personne laisse un objet dont elle n’a plus besoin et en prend un autre laissé par quelqu’un d’autre », annonce le communiqué. Oui, l’œuvre d’Arman est furieusement d’actualité.

Arman, Tout ce qui reste,
jusqu’au 27 octobre – galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, 33 et 36, rue de Seine, 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : Un regard neuf sur Arman

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