Collection

Un art haute couture

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 février 2009 - 521 mots

Bien que Pierre Bergé et Yves Saint Laurent se soient plus tournés vers le passé qu’ils n’aient construit un goût en phase avec leur époque, la vente de leur collection rappelle le rôle majeur joué par les couturiers dans le lancement des modes autres que vestimentaires.

En libérant les formes de la femme, certains auront inspiré dans les années 1920 la création de meubles adaptés à ces nouveaux atours. D’autres agiront en vrais mécènes. C’est le cas de Paul Poiret ou Jeanne Tachard, lesquels mettront à contribution Pierre Legrain ou Jeanne Lanvin, dont la connivence avec Albert Armand Rateau sera exemplaire. Sans oublier Jacques Doucet, propriétaire des Demoiselles d’Avignon, lequel demande à Eileen Gray, André Groult et Marcel Coard de meubler son studio de Neuilly. Leur onction, même posthume, n’est pas étrangère au sacre de l’Art déco sur le marché. La dispersion de la collection Doucet le 8 novembre 1972 agit en vrai catalyseur, en multipliant par cinq voire par dix ses estimations. La provenance de ces stylistes est toujours source de plus-value. Un tabouret de Pierre Legrain réalisé pour la villa de Jeanne Tachard à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines) a ainsi décroché 455 500 dollars (363 586 euros) chez Christie’s en 2004. Quelles embardées peut-on attendre de la paire de banquettes de Gustave Miklos, achetées pour 37 000 francs par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent dans la vente Doucet, et estimée 2 à 3 millions d’euros ? Ou du tabouret curule de Legrain, acquis dans la même vente pour 8 000 francs et estimé 400 000-600 000 euros ? Les dispersions d’un autre couturier, Karl Lagerfeld, auront dopé les prix, d’abord en 1975 à Drouot, puis en mai 2003 chez Sotheby’s à Paris. Mais entre Lagerfeld et Yves Saint Laurent il est un abîme qui ne se mesure pas seulement à la plus grande réussite professionnelle du second, remarquablement décrite par Alicia Drake dans Beautiful People. Saint Laurent, Lagerfeld : Splendeurs et misères de la mode (éd. Denoël, 2008). « Lagerfeld est boulimique, insatiable, il recycle beaucoup, indique Sonja Ganne, spécialiste de Christie’s. Chez Yves Saint Laurent, il y a une fidélité profonde aux choix. On enrichit, on sédimente, on ne tourne pas les pages, on écrit un livre. »

Le goût classique
Tous les couturiers n’ont pas succombé à la modernité. Il n’est qu’à voir le goût résolument classique d’Hubert de Givenchy. « Givenchy, c’était un exercice de perfection autour d’un style, le XVIIIe français, souligne le marchand Alexis Kugel. Yves Saint Laurent c’est l’opposé, c’est transversal. » La griffe préférée de l’actrice Audrey Hepburn fait toutefois flamber les prix. Ainsi, son lustre issu de la Maison de Hanovre s’est-il adjugé pour 19,9 millions de francs en 1993 chez Christie’s. Il est d’ailleurs probable que la vente Saint Laurent-Bergé produise le même effet que celle de Givenchy sur l’esprit des amateurs. « La vente Givenchy était estimée très cher, la crise était sérieuse et Christie’s n’avait jamais fait un catalogue aussi beau, rappelle Alexis Kugel. Un collectionneur a acheté un quart de la vente. Trois ans plus tard, on s’est dit que ces prix n’étaient finalement pas élevés… »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : Un art haute couture

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