Trop peu de collectionneurs assurent leur patrimoine

La peur du fisc et le coût élevé des primes dissuadent les amateurs de souscrire à une protection pourtant nécessaire

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2003 - 1017 mots

Entre sécurité, assurance et peur des services fiscaux, le cœur des propriétaires privés balance. Pourtant, la France est l’un des terreaux les plus propices aux vols d’œuvres d’art. Les incendies, dégâts des eaux et autres catastrophes naturelles, pour être moins médiatiques, n’en sont pas moins désastreux. Les professionnels suggèrent des protections mécaniques et électroniques mais aussi une assurance adaptée aux œuvres d’art.

PARIS - L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) a recensé 562 vols d’œuvres d’art en France en 2002. Un chiffre important, mais bien moins spectaculaire que les 1 266 infractions comptabilisées en 1998 ! Sur les quelque 5 000 châteaux et manoirs répertoriés, seuls 20 % seraient correctement protégés. Si les demeures de caractère constituent une proie facile, les appartements parisiens ne sont pas pour autant à l’abri des vols. Chaque année, entre trente et quarante vols très spécialisés sont perpétrés par le grand banditisme. “Il y a sur Paris une quinzaine de spécialistes capables d’ouvrir les portes avec des ‘clés parapluie’. Ces dernières ouvrent les portes blindées sans laisser de trace d’effraction. Dans ces cas-là, il faut essayer de multiplier les obstacles et compter sur la présence humaine”, insiste le commandant Bernard Darties, chef intérimaire à l’OCBC. Les derniers vols opérés dans les 7e et 8e arrondissements parisiens ont fait disparaître des biens estimés entre 760 000 euros et 1,5 million d’euros.
Ces chiffres témoignent souvent de la négligence, voire du manque d’anticipation des particuliers face à une menace pourtant endémique. “Les propriétaires n’appréhendent souvent les protections qu’en mettant des alarmes. Mais lorsqu’une alarme se déclenche, le temps pour un gardien de réagir est long et les malfaiteurs sont souvent partis. L’erreur commune est de concentrer la sécurité à l’intérieur du bâtiment en négligeant l’extérieur”, souligne Louis-Philippe Cadiaf, commandant de police chargé de mission au ministère de la Culture. “Il est quasiment impossible de sécuriser entièrement une demeure. En observant le mode opératoire des voleurs, on constate qu’ils cherchent à se rapprocher le plus possible des fenêtres du bâtiment avec leurs voitures. Il faut retarder l’intrusion des malfaiteurs dans les parcs en neutralisant les voies d’accès”, poursuit Bernard Darties. Pour cela, il est nécessaire de clairement identifier le domaine périphérique du bâtiment. Si la demeure dispose d’un accès à l’arrière et d’une grille principale, des plots mécaniques mobiles installés des deux côtés peuvent éviter aux voitures de se rapprocher. Au niveau du bâtiment, la prévention passe d’abord par des mesures élémentaires de bon sens. Il faut consolider les protections mécaniques, prévoir le blindage des portes, le renforcement de l’huisserie, la pose de protège-gonds et de serrures agréées A2P (Assurance Prévention Protection) et le barreaudage des volets intérieurs. Selon la valeur et la sensibilité du patrimoine assuré, des protections électroniques peuvent aussi être prévues : alarme agréée par l’Assemblée plénière des sociétés d’assurances dommages (APSAD) avec un contrat d’entretien, équipement Transveil [système de transmission par télésurveillance] ou GSM [Global system for Mobile Communication] pour pallier la coupure des câbles téléphoniques ou barrière à infrarouge...

“Soustraire les petits objets au regard du visiteur”
Les voleurs s’attaquent communément aux objets facilement transportables comme les cartels, les chandeliers, l’orfèvrerie ou les petits tableaux. “Si la demeure est ouverte au public, il faut veiller à ce que celui-ci ne quitte pas le circuit de visite. Les objets les plus précieux ne devraient d’ailleurs pas figurer dans ce circuit. Il faut soustraire les petits objets au regard du visiteur, préconise Louis-Philippe Cadiaf. Pendant les explications, il ne faut jamais pointer un objet en soulignant qu’il est très cher. Pour les demeures qui ne sont habitées que pendant les périodes estivales, on conseille aux propriétaires de créer une chambre forte. Pour cela, il est bon de choisir une pièce à l’étage que l’on consolide par un double façonnage des murs intérieurs avec la mise en place d’une porte blindée.” Les mesures de protection ont toutefois un coût souvent pesant pour les particuliers. L’investissement pour un schéma directeur de sécurité minimal d’une demeure de taille moyenne se situe entre 15 000 et 20 000 euros. “Pour mettre en sûreté totale une demeure de la taille de Vaux-le-Vicomte, il faut compter 150 000 euros”, souligne Louis-Philippe Cadiaf. Le coût d’une alarme de base en appartement se situe entre 1 500 et 3 000 euros, dans un grand château entre 10 000 et 40 000 euros. La maintenance annuelle du système se révèle onéreuse, entre 350 et 450 euros.

Produire une carte d’identité des objets
Plus fréquents que les vols, les incendies sont aussi plus dramatiques. “Le risque le plus grave et le plus coûteux reste l’incendie. Il faut veiller à avoir un extincteur chez soi et des détecteurs de fumée. En Amérique et en Angleterre, on les intègre dans les constructions neuves, mais ce n’est toujours pas le cas en France”, constate le courtier d’assurance Richard de la Baume. L’installation de système de détection incendie, permettant de déceler avec précocité un départ d’incendie, varie entre 8 000 et 10 000 euros. Les extincteurs doivent impérativement être agréés par les assureurs et dotés d’un contrat d’entretien, qui tourne souvent autour de 500 euros par an. Face à ce risque, la prévention seule ne suffit pas. L’assurance est dès lors de mise. “Quand il y a un événement comme l’incendie à Lunéville, on est tout de suite contacté. Ce type de catastrophe sensibilise les gens. Ce n’est pas pour autant qu’ils souscrivent un contrat d’assurance. Il y a un an, l’implosion d’une télévision dans le 16e  arrondissement parisien a pourtant provoqué une destruction qui a coûté 1,2 million d’euros”, rappelle Diana des Moutis, directrice du département patrimoine chez Gras Savoy Patrimoine.
La prévention passe aussi par un inventaire précis dans lequel chaque objet est clairement identifié (dimensions, poids, provenance, photos numérisables) et parfois “marqué”. Rappelons que 20 % des objets volés sont retrouvés, mais seulement 3 % sont restitués à leurs propriétaires faute de documents photographiques et d’une carte d’identité des objets. Les propriétaires répugnent en effet à remplir les fiches signalétiques de l’OCBC, antenne du ministère de l’Intérieur, par crainte d’un contrôle fiscal. L’épouvantail du fisc n’est pas de bon conseil...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Trop peu de collectionneurs assurent leur patrimoine

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