Antiquaires

Tefaf 2016, un bilan honorable

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2016 - 1054 mots

Dans un marché inquiet et pénalisé par la raréfaction des chefs-d’œuvre, quelques belles transactions ont animé un commerce solide, mais moins euphorique que les années précédentes.

MAASTRICHT - Tefaf de Maastricht, qui a fermé ses portes le 20 mars, reste une foire inégalée en matière d’antiquités et d’objets d’art. Depuis presque trente ans, elle a su s’adapter aux évolutions du marché et conserver sa place de leader. Dirigée fermement, elle  impose le respect et les langues ont souvent du mal à se délier. « C’est compliqué de critiquer la foire, car on prend le risque d’être écarté », indique un exposant.
Peu avant l’ouverture, les marchands se disaient inquiets : les visiteurs allaient-ils être au rendez-vous compte tenu des événements malheureux ayant touché l’Europe fin 2015 ? Et comment réagir face aux chiffres globaux du marché de l’art, qui indiquent une baisse, comme l’a annoncé le rapport Tefaf (-7 % pour les ventes mondiales) ? La conjoncture économique et la menace des Britanniques de quitter l’Europe ne rassurent pas. Résultat, la fréquentation de la foire a baissé de 5 % par rapport à l’an passé et la clientèle américaine se fait plus rare. Y compris les institutions. « Pour trente musées que l’on voyait les années passées, il y en avait vingt cette année », notait un marchand. « C’est plus calme. Nous vendons, mais il y a moins d’effervescence », révélaient nombre d’entre eux, quand d’autres affirmaient que cela n’avait pas eu d’incidence sur le niveau de transactions, notamment pour la peinture ancienne. « Il faut croire que même s’il y a moins de visiteurs, ceux qui étaient présents étaient animés de bonnes intentions », commente  Maurizio Canesso.

Du flair pour Rembrandt
Problème épineux qui ne date pas d’hier, le nombre de chefs-d’œuvre est en recul, désormais aux mains des musées ou entrés dans de prestigieuses collections privées. La foire compte donc moins de grands noms et plusieurs marchands qui rapportent d’une année sur l’autre leurs invendus de l’année écoulée. « C’est assez frustrant », notait un collectionneur averti. « Nous venons pour faire des découvertes », poursuivait-il. Pour Bob Haboldt, c’est une hérésie. « On ne peut pas changer à 100 % notre accrochage. Si je vends 20 à 30 % de mon stand, c’est déjà bien ! ». En 2002, Otto Naumann frappait un grand coup en apportant à la foire Minerve (1635), de Rembrandt, qu’il affichait à 40 millions de dollars (137x116 cm). Dix ans plus tard, il revenait avec un autre Rembrandt, un Portrait d’homme, une œuvre tardive signée et datée 1658 (117 x 87 cm). Cinq ans après, c’est à nouveau un Rembrandt qui a capté toute l’attention, exposé sur le stand de la galerie française Talabardon et Gautier. À quelques différences près, puisqu’il s’agit d’un Rembrandt de jeunesse et de petit format (21,6 x 17,8 cm). Le prix est à sa mesure, entre 3 et 4 millions d’euros. Mais l’histoire fait rêver, puisque, acquise dans une vente aux États-Unis en septembre dernier, sur une estimation de 500 dollars, l’œuvre s’est révélée être, après nettoyage, de la main du maître hollandais. L’Odorat, issue de la série des « cinq sens », est l’œuvre la plus précoce du peintre, vers 1625 alors qu’il n’a que 18 ans. C’est aussi son premier tableau signé. « Ce qui a beaucoup joué dans ce battage médiatique, c’est l’histoire du tableau », expliquait Bertrand Talabardon. L’œuvre a trouvé preneur bien avant le vernissage, achetée par Thomas S. Kaplan, milliardaire américain déjà en possession de L’Ouïe et du Toucher. « Je voulais que ce tableau soit exposé à Maastricht pour montrer notre travail », soulignait le marchand. Si la plupart de ses confrères se réjouissaient de cette découverte, d’autres moins. « Des visiteurs viennent juste pour voir le tableau, le photographier et repartent sans rien regarder d’autre. Accrocher des œuvres déjà vendues, cela affaiblit les autres marchands », estimait un des exposants. Pourtant, la galerie Colnaghi a cédé une très belle nature morte de Savery (1615), pour 6,5 millions d’euros au Mauritshuis de La Haye.

Faible représentation française
Dans la section antiquités, « la foire reste la plus incroyable au niveau de la qualité des objets. Et cette année, la sélection était particulièrement extraordinaire », soulignait Marella Rossi. Entre un bureau de pente par Nahl, Allemagne, vers 1750-1760, plaqué de nacre et d’argent (2,5 millions d’euros) chez Aveline et Quénetain, qui intéressait pas moins de trois musées, en passant par un imposant bassin en bronze chinois (Jian), dynastie Zhou de l’Est à la galerie hollandaise Vanderven et une coupe Kuba chez Lucas Ratton (collection Stoclet), achetée par le Detroit Institute, jusqu’au jeu d’échecs à décor de chinoiseries, Augsbourg, vers 1715 (autour de 3,5 millions) à la galerie Kugel, la sélection était de qualité. Il est surprenant cependant de constater à quel point les Français sont mal représentés dans cette section. Ils n’étaient que huit contre quatorze Allemands, quinze Hollandais et pas moins de vingt-quatre Anglais ! « Il est plus facile pour un marchand londonien d’intégrer la foire car les dirigeants sont pour l’essentiel basés à Londres, comme il est plus facile pour un français d’être admis à la Biennale. À qualité égale, il est plus aisé de retenir un marchand que l’on connaît », expliquait Christophe de Quénetain.

Côté art moderne, les choses sont allées moins bien que pour l’art ancien. « Ce n’est pas la meilleure année », concédait Franck Prazan qui a pourtant vendu trois tableaux dont un Karel Appel. Jacques de la Béraudière a également trouvé la foire très calme. « Je n’ai pas vu mes grands collectionneurs ». Thomas Salis a vendu La Grande Allée, de Paul Delvaux (2 millions d’euros), tandis que Waring Hopkins proposait deux importants Calder et que la galerie Van de Weghe (New York) exposait Hoax, de Basquiat (3,7 millions d’euros) et Things on the wall, de Lichtenstein (4,9 millions d’euros). Même constat pour le design, section dans laquelle la galerie l’Arc en Seine montrait deux paires de fauteuils de Ruhlmann,  alors que François Laffanour faisait un focus sur le mobilier du Mexicain Luis Barragán. Constatant également un manque de clients américains, le marchand suggère de trouver une autre clientèle. « Nous sommes trop tributaires ». Tefaf a opté pour une autre solution : aller au devant d’eux grâce à une nouvelle bouture : Tefaf New York.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Tefaf 2016, un bilan honorable

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