Singapour - Foire & Salon

FOIRE D’ART CONTEMPORAIN EN ASIE

Singapour : « ART SG » réussit son lancement

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2023 - 1158 mots

SINGAPOUR

Avec 164 galeries venues de 35 pays, la nouvelle foire singapourienne tire profit de la reconfiguration géographique du marché de l’art en Asie.

Vue de l'édition 2023 d'Art SG à Singapour. © Art SG
Vue de l'édition 2023 d'Art SG à Singapour.
© Art SG

Singapour. Sa taille, inédite pour l’Asie du Sud-Est, doit être considérée à l’aune des défis que son organisateur, le groupe The Art Assembly, a dû relever. Outre les reports successifs de la foire depuis plus de trois ans, la déliquescence d’Art Stage Singapore, dont la 9e édition fut annulée à la dernière minute en janvier 2019, avait jeté un froid quant au potentiel de la cité-État sur le marché de l’art.

Réparties sur deux étages du centre d’exposition Marina Bay Sands, célèbre complexe commercial et hôtelier, l’important rassemblement de galeries de renom (Gagosian, Perrotin et David Zwirner, entre autres) et émergentes lors de la première édition d’Art SG, qui s’est tenue du 12 au 15 janvier, a permis de prendre le pouls du marché, tout se familiarisant avec les attentes et sensibilités artistiques de la région.

Le vernissage de la foire a assuré un démarrage apparemment solide des ventes avec des prix pour la plupart compris entre 5 000 et 150 000 euros, à l’image de State of Being (Instrument),œuvre de 2022 de Chiharu Shiota vendue par la Galerie Templon (Paris) pour 90 000 euros. On constate une concentration des prix sur les segments allant de 15 000 à 75 000 euros. Plus rares furent les ventes millionnaires, comme cette toile de 1981 d’Anselm Kiefer (Dein Goldenes Haar Margarete) vendue par White Cube à un collectionneur indonésien pour 1,2 million d’euros.

Les ventes se sont poursuivies jusqu’au dernier jour, résultat des efforts d’ajustement de galeries qui ont montré un large éventail de leur programmation en renouvelant leur accrochage tout au long de la foire. Les œuvres inédites et les solo shows furent ainsi relativement plus rares par rapport aux autres grandes foires internationales qui tendent à cultiver l’exclusivité.

Moins trépident mais constant sur la durée, ce rythme particulier a profité à de jeunes galeristes comme Julien Cadet (Paris). Seul représentant occidental de la section « Futures » (galeries de moins de 6 ans), il a vendu une dizaine de toiles de l’artiste américaine Molly A. Greene à des prix compris entre 15 000 et 44 000 euros. Le profil de ses acheteurs, exclusivement asiatiques, est à l’image du positionnement de la foire. Ce succès ne doit cependant pas faire oublier le sort d’autres galeries qui ne sont pas parvenues à conclure assez de ventes pour couvrir leurs frais.

Singapour attire

Il est assez difficile d’esquisser des tendances claires en matière d’acquisitions. L’art asiatique dans son ensemble mais aussi l’art occidental ont été plébiscités par les acheteurs. En cela, Art SG joue son rôle intégrateur de plateforme commerciale, facilité par le multiculturalisme séculaire de Singapour. Cette dimension transnationale prend de multiples formes comme le succès des œuvres de l’artiste britannique Mr Doodle, vendues par la galerie Pearl Lam (Hongkong, Shanghaï).

Approchant les 43 000 visiteurs, la foire a réussi à attirer un grand nombre de collectionneurs locaux, d’Asie du Sud-Est (indonésien et thaïlandais en particulier), de Hongkong, de Chine et de Corée du Sud. Les musées et institutions de la région se sont également déplacés en nombre. Le musée privé Macan de Jakarta, fondé par l’homme d’affaires et collectionneur Haryanto Adikoesoemo, disposait d’ailleurs d’un stand sur la foire et a acquis deux œuvres d’Ashley Bickerton auprès de Gagosian. L’artiste était installé à Bali depuis 1993 jusqu’à son récent décès en novembre 2022.

Ce démarrage prometteur a levé les doutes sur le potentiel de Singapour. Le contexte a évolué en sa faveur au cours des dix-huit derniers mois, notamment grâce à l’arrivée d’un nombre croissant de millionnaires (hongkongais, chinois et indonésiens en particulier) venus s’installer pour des raisons politiques et/ou fiscales. L’ouverture de family offices [bureau de gestion de patrimoine] ainsi que la croissance économique soutenue de la région (+ 5,2 % pour le PIB indonésien en 2022 par exemple) ont permis d’accroître le nombre d’acheteurs d’art ainsi que leur budget.

Le soutien à la fois promotionnel et financier du gouvernement de Singapour a également été déterminant. Le Singapore Tourism Board (STB) s’est révélé être un partenaire précieux dans l’internationalisation réussie d’Art SG. La présence de son CEO, Keith Tan, à la conférence de presse aux côtés de l’équipe dirigeante de la foire témoigne de la mobilisation des autorités singapouriennes pour le développement de son écosystème artistique et commercial.

S.E.A. Focus, foire alternative

Ce bilan positif laisse toutefois un acteur dans l’ombre : S.E.A. Focus, foire alternative centrée exclusivement sur l’art contemporain d’Asie du Sud-Est. Inaugurée en amont le 5 janvier pour une durée de dix jours, sa 5e édition fut organisée dans l’un des bâtiments du complexe industrialo-portuaire de Tanjong Pagar, à 4 km environ de Marina Bay Sands.

Elle proposait un format plaisant pour les visiteurs avides de découvrir les talents de la scène artistique contemporaine de la région. Sa formule commerciale semble toutefois plus risquée pour les exposants : pas de stand mais un espace d’exposition ouvert et commun. Le personnel de certaines galeries est parfois présent sur place, mais l’ensemble est animé par une équipe distincte, rappelant ainsi le format des dernières éditions d’Art Basel Hong Kong et de Taipei Dangdai pendant la pandémie. Seuls les codes QR présents sur les cartels des œuvres permettaient aux acheteurs potentiels d’entrer en contact avec les différentes galeries.

On recense néanmoins quelques acquisitions, dont celles du SAM S.E.A. Focus Art Fund, fonds d’acquisition du Singapore Art Museum, musée consacré à l’art contemporain de toute l’Asie du Sud-Est. Le musée a notamment acheté une série d’œuvres peintes de l’artiste indonésien Agung Kurniawan, représenté par la galerie ROH (Jakarta). Une meilleure articulation de S.E.A. Focus avec Art SG devrait être trouvée en 2024 dans la mesure où les partenaires des deux manifestations sont communs : la galerie S.T.P.I. (Singapour), à l’origine de S.E.A. Focus avait un stand sur Art SG et Art Basel (groupe MCH), actionnaire minoritaire d’Art SG est partenaire de S.E.A. Focus depuis 2022. Par ailleurs, la plupart des galeries de S.E.A. Focus avaient un stand sur Art SG, à quelques exceptions près comme Nova Contemporary (Bangkok) et Silverlens (Manille, New York).

Ce solide démarrage interroge désormais sur les performances à venir d’Art Basel Hong Kong, prévue du 21 au 25 mars prochain. Même si l’ouverture du musée M+ contribue indéniablement à son rayonnement artistique et culturel, Hongkong doit désormais composer avec une censure accrue (limitant le type d’œuvres pouvant être exposées) et une économie chinoise ralentie. De son côté, Singapour doit s’accommoder de l’augmentation de la GST (Goods and Services Tax) échelonnée jusqu’en 2024 : passée de 7 à 8 % au 1er janvier 2023, elle augmentera de nouveau à 9 % le 1er janvier 2024. Cela ne devrait toutefois pas casser la dynamique créée en ce début d’année, comme en témoigne l’inauguration pendant la foire de la succursale de la galerie japonaise Whitestone (Tokyo, Nagano, Hongkong, Taipei) dans un vaste espace d’exposition au sein du complexe de Tanjong Pagar.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : Singapour : « ART SG » réussit son lancement

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