Foire & Salon

Que voir à Art Paris art fair ?

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2018 - 1503 mots

Le rendez-vous printanier qui propose une exploration de l’art moderne et contemporain au Grand Palais met cette année la Suisse à l’honneur. Tour d’horizon d’une sélection d’artistes de la scène française et visite de quelques stands remarquables.

Paris. Excellente idée que d’offrir à François Piron une carte blanche sur la scène française à Art Paris Art Fair. Cet intellectuel, plus familier des écoles et des centres d’art que du marché, a notamment été co-commissaire de l’exposition « L’esprit français » à la Maison rouge (en 2017). À ce titre, il est à même de proposer « une relecture historique d’artistes ayant travaillé ­des années 1960 à 1980 », pour reprendre ses termes. Le critique d’art offre ainsi un regard aussi averti qu’original sur un segment de la production artistique en France passée plus ou moins en deçà des radars de l’institution, en dehors de quelques balises bien identifiées.

Parmi ces incontournables, Jean-Pierre Raynaud auquel Caroline Smulders (Paris) consacre l’intégralité de son stand. Un solo show (parmi les nombreux présentés à Art Paris), soit un projet « risqué et radical », ainsi que le déclare la galeriste dont le stand relève de l’épure. Elle présente une sélection des fameux « Fragments » de l’artiste, panneaux de sens interdits en bois épais de rayon 125 cm et redécoupés, entre 45 000 et 60 000 euros selon le format. Ces signes à caractère « universel » replacent l’artiste dans l’histoire d’un art conceptuel en France accompagné par l’institution. Une dimension officielle, qui sert pour ainsi dire de repoussoir à la lecture que propose François Piron dans sa sélection. Celui-ci entend en effet « rendre hommage à des parcours indépendants tenus à l’écart des grands courants dominants ».

Loin d’être inconnue dans le paysage français, Tania Mouraud fait néanmoins partie de ces figures singulières. On pourra ainsi se replonger dans les « années Palace » sur le stand de Rabouan-Moussion (Paris) avec ses photographies « Made in Palace » (1980), des tirages vintages en noir et blanc de clichés faits par l’artiste dans ce temple des nuits parisiennes (pour 25 000 euros). Fluidité des identités floutées et dernières fêtes avant que le sida ne ravage la communauté homosexuelle qui a construit ce lieu. Claire Gastaud (Clermont-Ferrand) présentera de cette même artiste une série de photographies plus récentes intitulées « Borderland », montrées lors de l’exposition de l’artiste au Musée de la Chasse en 2009. D’un stand à l’autre, on pourra mesurer l’évolution de son travail avec ces images de paysages ruraux délavées, imprimées sur bâches et retirées sur papier (18 500 euros pour une édition en trois exemplaires).

Figure tout aussi originale et marquante, Pierrette Bloch a développé à partir des années 1950 un travail minimaliste de dessin flirtant avec un principe d’écriture. Rétroactivement, l’artiste apparaît par son engagement radical dans l’art abstrait comme ayant pu tutoyer esthétiquement Agnès Martin. Mais ce n’est qu’à l’approche de ses 80 ans que la Française décédée en 2017 finira par obtenir un début de reconnaissance institutionnelle. La galerie Véronique Smagghe (Paris) présente quelques exemplaires de ce travail, notamment deux rares petits collages noirs sur isorel de 1968 et 1969 ou un grand collage Rouge et Noir de 1971 (entre 16 000 et 50 000 euros, selon les formats).

Dans la même catégorie des reconsidérations tardives, Hessie, qui vient d’avoir une rétrospective aux Abattoirs de Toulouse, sera présentée par la galerie Arnaud Lefebvre (Paris). Un travail resté en marge du féminisme historique, car non militant et ne délivrant pas de message clair, qui gagne à être à nouveau regardé aujourd’hui. On pourra voir sur le stand une très belle pièce de coton cousue de boutons beiges, roses et verts de 1974 pour 40 000 euros ou un collage très poétique de format moyen réunissant bout de bois, plante séchée et feuille de soie froissée pour 2 800 euros.

 

 

Artistes à contretemps

À ces figures au caractère parfois trop indépendant répondent des mises à l’écart que l’on pourrait expliquer à l’opposé par leur dimension trop conventionnelle. Roland Topor, personnalité médiatique de renom, très connu du grand public, « trop populaire pour être dans l’art contemporain » selon François Piron, en est un bel exemple. De ce dernier, on pourra retrouver un mur de dessins que lui consacre la galerie Vallois (Paris). « Le fait que certains artistes aient été anachroniques en leur temps les rend plus durables », poursuit le critique, comme Frédéric Pardo présenté en solo par Loevenbruck (Paris). Ce dernier fut considéré, à la fois, de son temps par les liens entretenus avec les artistes de son époque et anachronique par son style et ses techniques oscillant entre Renaissance et orientalisme. Dans son œuvre, ce filleul de Jean-Paul Sartre recycle l’image d’une époque dans laquelle se croisent Jean-Pierre Kalfon, Tina Aumont ou Philippe Garrel. On pourra repartir du stand avec une petite huile, tempera et feuille d’or sur bois de 1978, représentant Dominique Sanda de dos pour 16 000 euros ou un grand paysage à la Caspar David Friedrich de 1986 pour 40 000 euros. Des prix qui, selon Alexandra Schillinger, directrice de la galerie qui représente l’artiste depuis quelques années, correspondent à un marché pour lequel« chaque tableau trouve preneur, même si cet artiste n’a jamais travaillé pour une production publique, mais dans le cadre d’un cercle d’amis intimes. » Autre figure parfaitement singulière, Leonardo Cremonini présenté par la galerie T&L (Paris), un artiste qui a eu un succès important de son temps avec une rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ou à la Kunsthalle de Bâle… sans que l’on puisse voir dans son travail la moindre contemporanéité avec son époque. Entre Balthus et Martial Raysse, une peinture clairement ancrée dans le passé, mais qui trouvait ses thuriféraires auprès d’Althusser, Debray ou Moravia. Entre-temps, l’artiste a disparu des cimaises institutionnelles, mais il a toujours des collectionneurs aux États-Unis comme en Europe. Sa cote, bien qu’elle ait baissé après sa disparition, reste importante. On pourra s’offrir le ticket d’entrée avec un petit paysage pour 7 500 euros, mais pour une pièce maîtresse telle que ces baigneurs allongés sur la plage, il faudra débourser 160 000 euros.

 

 

 

 

Les Suisses, de l’architecture à la photo

Sans transition, du côté de la Suisse, Le Corbusier est mis à l’honneur par les galeries Éric Mouchet et Zlotowski qui font stand commun. Du maître du style international, on trouvera notamment un collage de papiers journaux gouachés sur carton de Chandigarh,la Main Ouverte de 1951 pour 45 000 euros. Sculpture devenue le signe de reconnaissance de la ville du nord de l’Inde, elle incarne un symbole de paix et de prospérité qu’est censée avoir diffusé l’esthétique moderniste. À ce projet dont la faillite n’est plus à démontrer, le jeune Suisse Matthieu Gafsou apporte une réponse contemporaine à travers une série de photographies sur La Chaux-de-Fonds. Dans la ville d’origine de Le Corbusier, se croisent en tout éclectisme une architecture historique à l’ombre de laquelle ce dernier a grandi et des bâtiments modernes quelconques. Les tirages sont exposés par Éric Mouchet et vendus 5 500 euros (Édition de cinq).

Du côté des grandes pointures contemporaines, on ira voir la galerie Tanit (Munich/Beyrouth) qui présente une sélection de la garde suisse « plus si jeune ». On pourra emporter un Peinture Miroir de John M. Armleder pour 150 000 euros ou encore un monochrome en nylon beige cerné de deux bandes roses (190/170 cm) pour 120 000 euros. Ceux qui préfèrent un art conceptuel dans lequel la nature a fait une irruption sous un mode pour le moins expressionniste se tourneront vers les « Shaped canvases » réalisées par Adrian Schiess. Basé à Mouans-Sartoux, le plus provençal des artistes suisses réalise une œuvre qui a bien pris le soleil et dont les acryliques sur nylon de 2007 proposés à Art Paris sont annoncés entre 27 000 et 30 000 euros.

Pour sortir des questions de scènes nationales sans quitter la France, on pourra jeter un coup d’œil sur le stand de Templon (Paris). La galerie parisienne présentera entre autres des œuvres de Supports/Surfaces, dont un fragment de bâche de Claude Viallat d’environ deux mètres de 1985. Ceux qui veulent repenser leur décoration pour l’été pourront emporter ces haricots verts sur fond rose pour 30 000 euros. La galerie, qui a la représentation exclusive de Daniel Dezeuze, montre également un Diptyque pour Wen Tong de 2005. Une échelle métallique et un empilement de rouleaux de bois présentés côte à côte et affiché à 25 000 euros. Des prix encore modestes comparés à ceux d’artistes américains de la même génération. Enfin, du côté des jeunes galeries, on ira voir le stand de Bertrand Grimont qui présente notamment des œuvres de Benjamin Sabatier. Au choix on pourra opter pour des pièces murales en béton à 5 000 euros ou en bois brûlé béton et corde. Enfin, pour relire toute l’histoire de l’art et boucler cette histoire des heurs et malheurs des artistes français sur une œuvre vouée aux gémonies par la critique officielle, on pourra reconsidérer son jugement avec les peintures de Vincent Corpet, entre 5 000 et 10 000 euros pour des petits ou moyens formats.

 

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Que voir À Art Paris art fair ?

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