Quand la Chine des ventes publiques s’éveillera...

Ce secteur pourrait être dopé par l’accès du pays à l’Organisation mondiale du commerce

Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 970 mots

Depuis 1992, date à laquelle les maisons de vente aux enchères ont été effectivement tolérées par l’État chinois, une centaine ont fait leur apparition dans le pays dont deux, Beijing Hanhai et China Guardian, dominent le marché. Mais leurs résultats demeurent encore modestes comparés à ceux de leurs homologues de Hongkong. Les choses pourraient changer une fois que la Chine aura rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

PEKIN - Même si l’accès aux maisons de vente étrangères n’était pas explicitement stipulé dans les accords d’ouverture du marché conclus avec les États-Unis et l’Europe, Sotheby’s et Christie’s se préparent à jouer un rôle beaucoup plus important dès que la Chine aura rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Reste à savoir comment le secteur public, très protégé, va réagir.

Les maisons de vente, telles qu’on les conçoit habituellement, n’existaient pas dans la Chine communiste jusqu’en 1992, année de la légalisation du marché de l’art en tant que tel. Avant cela, l’État contrôlait directement, en théorie du moins, l’ensemble du commerce des objets culturels. Des œuvres d’art étaient bien évidemment vendues et achetées en privé, mais toute vente validée officiellement passait par les services de l’État. De nombreux marchands de Hongkong racontent encore leur jeunesse et inexpérience dans les années 1960 et 1970, alors que la Chine était fermée à tous les étrangers à l’exception des Chinois de Hongkong (officiellement “compatriotes”), époque où ils pouvaient acheter dans des entrepôts appartenant à l’État de précieuses antiquités manifestement confisquées à des particuliers.

Les maisons de vente “privées” sont toujours illégales, les participations étrangères également, mais, comme souvent en Chine, les relations avec l’État “parent” sont tellement alambiquées que ces établissements fonctionnent essentiellement comme des entreprises privées. Plus d’une centaine de maisons de vente ont fait leur apparition au cours des années 1990, certaines ont disparu presque aussitôt, mais deux d’entre elles ont dominé le marché local : Beijing Hanhai et China Guardian.
Guardian, société de capital-risque entre le ministère du Commerce intérieur et le bureau des Biens culturels, a été créée en 1993 par son président, l’économiste Chen Dongsheng, et son directeur général, Wang Yannan – fille de l’ancien Premier ministre Zhao Ziyang –, qui a fait ses études aux États-Unis. Depuis 1994, elle a accueilli 59 vacations, dont des ventes de week-end réservées aux objets de moyenne gamme. Beijing Hanhai, qui appartient au conseil municipal de Pékin, est peut-être moins reluisante, mais elle brasse davantage de marchandises.

Les chiffres sont encore modestes comparés à ceux des ventes de Hongkong : les ventes saisonnières rapportent de 60 à 100 millions de yuans (entre 53 et 88 millions de francs), et les objets qui atteignent les prix les plus élevés sont généralement des peintures à l’encre du XXe siècle, comme le portrait réalisé par Fu Baoshi d’un personnage de la dynastie Tang – la favorite Yang Guifei – qui a atteint 9,8 millions de yuans (8,6 millions de francs) lors de la vente d’automne 1996 organisée par Guardian (l’acheteur était un client anonyme, entrepreneur en Chine continentale).

Contrôles sévères des exportations
La peinture et la calligraphie traditionnelles ont également gagné en popularité : à l’automne dernier, Guardian a vendu une calligraphie de l’empereur Song Gao pour la somme de 9,9 millions de yuans (8,7 millions de francs) à une société d’État anonyme. Guardian a même organisé des ventes de peintures contemporaines en décembre 1996, comme l’huile sur toile de Zhao Bandi, Les Amoureux de la place Tiananmen. Les conditions particulières imposées à la Chine entravent le marché. En raison de contrôles des exportations très sévères, qui interdisent la sortie du territoire de tous les objets datant du règne de l’empereur Qianlong (1736-1795), ou antérieurs, mais font preuve de largesses pour tous les objets postérieurs, il s’agit en fait d’un marché purement intérieur.

Selon Zuo Jinghua, responsable de la publicité et de l’édition chez China Guardian, “l’idée de départ visait en partie à proposer un lieu pour la vente locale d’œuvres d’art, afin d’éviter que les objets partent à Hongkong illicitement et sortent du pays.” Dans ce qui est maintenant une Région administrative spéciale de la Chine, Sotheby’s et Christie’s bénéficient non seulement de ressources non négligeables, mais aussi d’un marché de l’art régi par des réglementations nettement plus arrangeantes. Parce qu’elle sont encore jeunes et, d’un point de vue économique, plutôt précaires, les maisons de vente de la Chine continentale accusent des hauts et des bas, à l’instar de leur marché, et sont facilement manipulables. “Certains collectionneurs sont vraiment sérieux, explique Zuo Jinghua, mais la plupart achètent uniquement pour investir, ce qui rend le marché extrêmement instable.” En dépit de ces difficultés, Zuo Jinghua est raisonnablement optimiste. “Le facteur le plus important, ajoute-t-elle, est la situation économique de la Chine. Si les revenus continuent d’augmenter, les prix aussi augmenteront, et s’ils dépassent ceux de Hongkong, cela attirera de nombreux nouveaux vendeurs.” La dernière vente de Guardian a rapporté un bénéfice brut de 85,6 millions de yuans (76 millions de francs).

Si un dimanche après-midi vous avez l’occasion de visiter les bureaux de Hanhai, attendez-vous à un choc tant le contraste est profond avec les grandes maisons de vente internationales. Située sur la Liulichang, une “vieille” rue construite de toutes pièces dans les années 1980 pour les touristes, sa salle principale est occupée en son centre par une grande table en bois où des retraités viennent présenter leurs trésors familiaux. On se croirait davantage au mont-de-piété que dans une maison de vente ; dans la plus grande tradition des entreprises d’État chinoises, la plupart des employés ont l’air à moitié endormis.

Sotheby’s et Christie’s ont déjà des antennes à Shanghai, ainsi qu’à Pékin pour Christie’s. Mais malgré leurs avantages évidents, elles ne peuvent rivaliser avec les maisons de vente locales qui connaissent parfaitement leur marché et savent comment se servir de leurs relations avec les membres du gouvernement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Quand la Chine des ventes publiques s’éveillera...

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