Peinture ancienne, un marché en pleine mutation

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 721 mots

Les ventes londoniennes de juillet, particulièrement médiocres, obligent les opérateurs à déployer de nouvelles armes pour attirer les collectionneurs tout en conservant leurs clients marchands.

LONDRES - Avec un total de 58,2 millions de livres frais compris (1) cumulés, les ventes londonniennes de peinture anciennes de Sotheby’s et Christie’s réunies sont deux fois moins performantes que l’an passé (113,2 millions de livres), avec chacune un taux de vente plus bas qu’à l’accoutumée, soit 65 %. L’une s’en sort mieux que l’autre, puisque Sotheby’s récolte 20 millions de livres de plus que Christie’s avec un produit de vente de 39,3 millions de livres. Sa vente était plus attractive avec des œuvres de meilleure qualité, même si de nombreux lots se sont vendus au prix de réserve.

De l’aveu même des maisons de ventes, le marché des tableaux anciens est en pleine mutation. Elles cherchent donc à se renouveler afin de trouver de nouveaux acheteurs et rendre les ventes de tableaux anciens plus attractives. « Alors même que les maisons n’avaient pas énormément de choses à vendre, elles avaient édité des catalogues somptueux, remplis de photos », notait Nicolas Joly, expert en tableaux anciens.

Séduire de nouveaux clients
Les départements de peinture ancienne n’hésitent plus à aller chasser de nouveaux acquéreurs sur d’autres terres. Ils tentent notamment d’attirer les collectionneurs d’art moderne et contemporain. Le Christ sur la croix, du Greco et atelier, qui s’est bien vendu chez Christie’s (2,4 millions de livres pour une estimation de 1 à 1,5 million de livres) en est un exemple frappant : outre le fait que cet artiste suscite un intérêt grandissant, son tableau était comparé dans le catalogue à une œuvre de Picasso, La Danse, conservée à la Tate de Londres. « C’est une ruse pour attirer des clients plus modernes » soulignait Nicolas Joly.

Sotheby’s a totalisé 39,3 millions de livres, dans la fourchette basse de son estimation (35 à 41 millions de livres) contre 68,3 millions de livres en juillet 2014, soit presque deux fois moins. Elle a pourtant réussi à vendre tous ses lots phare, dont une œuvre de Lucas Cranach le Vieux, La Bouche de la Vérité, adjugée 9,3 millions de livres (est. 6 à 8 millions de livres) à un collectionneur privé au téléphone ou Portrait d’un garçon, un tableau spectaculaire de Ferdinand Bol, acheté 5,1 millions de livres par un collectionneur chinois (est. 2 à 3 millions de livres). Mais elle n’a pas trouvé preneur pour une œuvre de Fragonard, Dans les blés, estimée 2 à 3 millions de livres, trop cher.

Des marchands contrariés
Impossible aussi de ne pas noter le peu d’enchères de la part des marchands, qui d’ordinaire sont très actifs. « Ils ne sont pas contents car les maisons de ventes essaient de toucher les particuliers. D’ailleurs, les tableaux sont tous nettoyés, pour les séduire davantage ». Aussi, les estimations étaient très élevées, trop en tout cas pour des professionnels qui achètent nécessairement pour revendre. Autre signe révélateur d’une période difficile pour la spécialité, plusieurs galeries londoniennes ferment, comme la galerie de Johnny van Haeften, qui travaillera dorénavant depuis chez lui, ou la galerie Bernheimer.

Du côté de Christie’s, non seulement, la maison de ventes n’a pas réussi à vendre ses lots phare, comme une Vue de Dresde de Bernardo Bellotto, estimée trop chère (8 à 12 millions de livres) mais encore, elle a manqué de chance puisque les six œuvres provenant de Russborough house (Irlande), de Rubens, Francesco Guardi ou David Téniers II (est. 5,3 à 7,9 millions de livres) ont été retirées de la vente à la demande de la fondation Alfred Beit qui gère le lieu, suite à de vives critiques du gouvernement irlandais. De même, plusieurs œuvres de Brueghel n’ont pas trouvé preneur, marquant peut-être le début d’un revirement. Ainsi, sur les 54 lots offerts à la vente, seuls 31 ont été vendus, avec, sur la première marche du podium, un paysage côtier, de Richard Parkes Bonington (1802-1828), adjugé 2,4 millions de livres (est. 2 à 3 millions de livres), un record pour l’artiste. À la croisée des chemins, les maisons de ventes vont devoir redoubler d’efforts et trouver des solutions pour ne plus être boudées par les marchands car à terme, elles ne pourront pas s’en passer.

Note

(1) Tous les prix s’entendent frais compris sauf les estimations indiquées hors frais acheteurs.

Sotheby’s, le 8 juillet (vente du soir)
Résultat : 39,3 millions de livres (54,8 millions d’euros)
Estimation : 35 à 41 millions de livres
Taux de vente : 64,9 %


Christie’s, le 9 juillet (vente du soir)
Résultat : 18,9 millions de livres (26,3 millions d’euros)
Estimation : 36,8 à 55,4 millions de livres
Taux de vente : 65 %

Légende photo
Ferdinand Bol, Portrait d'enfant, 1652, huile sur toile, 170 x 150 cm, vendu 5 189 000 livres le 8 juillet, Sotheby's, Londres. © Sotheby's.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Peinture ancienne, un marché en pleine mutation

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