Foire & Salon

Paris plus… que jamais !

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 27 septembre 2022 - 2080 mots

PARIS

Paris+ par Art Basel remplace donc la Fiac cet automne. La nouvelle manifestation promet de faire vibrer la capitale au diapason de l’art. État des lieux et des forces en présence.

La nouvelle est tombée en janvier 2022, et elle a fait l’effet d’un mini-séisme dans le milieu de l’art. La Fiac, institution parisienne créée en 1974, devenue un rendez-vous incontournable de l’automne, cédait la place à une nouvelle foire d’art moderne et contemporain placée sous la houlette d’Art Basel, qui a été sélectionnée par la RMN - Grand Palais pour une durée de sept ans. Incarnée depuis plus de dix ans par sa directrice artistique Jennifer Flay, qui a beaucoup fait pour son rayonnement dans le monde, la Fiac paraissait indéboulonnable, même si, régulièrement, une poignée de galeristes parisiens montaient au créneau pour déplorer leur relégation dans les allées secondaires au bénéfice d’enseignes étrangères. Le coût des stands, l’absence de dialogue avec une organisation jugée inflexible et souvent débordée, la sélection drastique… : chaque année revenaient les mêmes griefs. Sans que l’on imagine une seconde que quoi que ce soit puisse changer, la foire ne cessant de gagner par ailleurs en crédibilité et en attractivité auprès des marchands et des collectionneurs du monde entier, notamment américains. Nombreux sont d’ailleurs les professionnels à déclarer aujourd’hui leur attachement à la manifestation en saluant le travail accompli. « La Fiac portait la singularité et la force symbolique de la scène artistique française, témoigne Michel Rein. J’y ai découvert l’art contemporain dans les années 1980, ainsi que mon envie de faire le métier de galeriste. J’ai eu la chance d’entrer sur la foire en 1993, un an seulement après l’ouverture de mon espace. Nous avons 30 ans en 2022 et nous avons participé à vingt-neuf éditions successives. »

Que tout change pour que rien ne change ?

Un chapitre est clos. Afin de ménager une transition, Art Basel a souhaité créer une entité française administrée par des équipes basées à Paris, dont certains membres sont des transfuges de la Fiac. Plusieurs galeristes s’en félicitent : « Le maintien d’anciens membres de la Fiac rend la continuation plus facile », estime ainsi Joseph Allen Shea, cofondateur de la Galerie Allen. L’ex-directeur adjoint de la Fiac, Maxime Hourdequin, a ainsi retrouvé son poste au sein de l’équipe Paris+. Quant à Jennifer Flay, l’ancienne directrice de la Fiac, elle est censée assurer la présidence du comité consultatif de la foire à partir de mars 2023. Le renouveau est symboliquement incarné à la tête de la structure parisienne par Clément Delépine, ancien codirecteur de la petite foire Paris Internationale qui a grandi dans l’ombre de la Fiac. « Le métier de directeur de foire reste le même, si ce n’est que de Paris Internationale à Paris+, il y a évidemment un changement d’échelle », constate sobrement ce jeune quadragénaire. Précisant : « Les standards de qualité pour répondre aux attentes des exposants, mais aussi des VIP, en termes de service, sont également plus précis. » Art Basel illustre de manière exemplaire la fameuse qualité suisse dans son attention aux détails. Elle peut aussi se targuer d’avoir inventé le concept de foire d’art en créant, à l’initiative de quelques galeristes bâlois, la première manifestation du genre en 1970. Depuis, elle a intégré le groupe MCH, une multinationale basée à Bâle qui emploie près de sept cents personnes dans le monde, dont plus de la moitié en Suisse. Devenue une marque déclinée sur le continent américain et en Asie (avec des foires d’art moderne et contemporain à Miami Beach et Hong Kong), Art Basel a donc désormais planté son drapeau à Paris.

Paris plus que jamais attractive

Il faut dire que la Ville Lumière est redevenue extrêmement désirable. « Par son histoire inégalable et son dynamisme actuel, elle occupe une place unique d’épicentre de la scène culturelle dans le monde », expliquait ainsi Marc Spiegler, le directeur mondial d’Art Basel. D’après le baromètre Choose Paris Region, la ville décroche la première place face à Londres, dont l’étoile a considérablement pâli depuis le Brexit, mais aussi face à Shanghaï ou New York, pour sa « qualité de vie ». Mieux : elle arrive en tête des métropoles qui devraient « le plus améliorer leur attractivité dans les trois ans à venir ». Le regain touristique de la période estivale, qui a vu affluer en nombre des Américains, des Moyen-Orientaux, des Italiens et des Espagnols, montre à quel point le charme de Paris reste un principe actif. Combien de villes au monde peuvent, en effet, se prévaloir d’offrir un cocktail aussi pétillant d’art, de mode, de gastronomie et de culture à leur top ? D’autant que cette combinaison exceptionnelle d’art de vivre et de richesse patrimoniale n’a cessé ces dernières années de s’étoffer pour atteindre une quintessence inégalée. Paris réunit ainsi un faisceau unique d’initiatives privées et d’institutions publiques de premier plan dans le domaine des arts et de la culture. Sept ans après la Fondation Vuitton, dont la programmation est digne de celle d’un grand musée, la Bourse de commerce – Collection Pinault a ouvert ses portes au cœur de Paris, dans l’axe du Centre Pompidou, que l’on peut rejoindre à pied en quelques minutes à travers les jardins des Halles. La promenade se prolonge agréablement dans le Marais, où l’on trouve également, dans un écrin sur mesure signé Rem Koolhaas, la fondation Lafayette Anticipations. Et bientôt, la Fondation Cartier quittera son édifice de verre du boulevard Raspail pour occuper les 14 000 m2 du Louvre des antiquaires, délaissé par les marchands, où elle aura la place de déployer sa collection. L’inauguration est programmée en 2024, pour les quarante ans de l’institution.

Des quartiers des galeries métamorphosés

Loin d’avoir été affaiblie par la pandémie, Paris continue donc d’accueillir des artistes du monde entier et d’aimanter de nouvelles galeries, réparties selon trois pôles géographiques : rive droite, dans le Marais et autour de l’avenue Matignon, et rive gauche, à Saint-Germain-des-Prés. Installée depuis quinze ans dans les espaces gigantesques d’une papeterie désaffectée à une heure de Paris (Les Moulins), la Galleria Continua a ainsi investi, fin 2020, un ancien local commercial du Marais laissé « dans son jus ». Le lieu, à l’angle de la rue du Temple et de la rue Michel-le-Comte, totalise 800 m2 répartis sur trois niveaux et cinq corps de bâtiments. Après quelques travaux, il comporte, outre les espaces d’exposition, un café « à l’italienne », une « gelateria », un coin épicerie fine, une cave à vin et une vaste librairie d’art. C’est l’une des très grosses enseignes qui, avec Perrotin et David Zwirner, contribue à faire du dédale de rues compris entre le Centre Pompidou et le Musée Picasso l’un des périmètres urbains les plus denses en matière de galeries d’art. Celles-ci ne cessent d’y affluer : ces derniers mois, des galeries prescriptrices, comme Balice Hertling et Sultana, y ont emménagé, de même que la jeune Galerie (sans titre), qui a étrenné mi-septembre sa nouvelle adresse et que l’on retrouve dans la sélection d’Art Basel. À quelques minutes des palaces et des boutiques de luxe de l’avenue Montaigne, le quartier Matignon s’est lui aussi métamorphosé au cours des deux années écoulées, au point que l’on peut parler d’un nouvel élan pour ce secteur qui abrite depuis douze ans la première adresse parisienne de la Galerie Gagosian, poids lourd du marché de l’art. Perrotin, Nathalie Obadia, Mariane Ibrahim ou la Galerie Cécile Fakhoury ont ainsi jeté leur dévolu sur cette bordure du triangle d’or en y ouvrant de nouveaux espaces. C’est dans ce quartier que sont par ailleurs établies les deux principales maisons de ventes Christie’s et Sotheby’s. Et, tandis que la rumeur bruissait depuis des mois de son arrivée à Paris, Hauser & Wirth a, de son côté, annoncé l’ouverture, début 2023, d’une nouvelle antenne dans un hôtel particulier entièrement réaménagé de la rue François-Ier, à deux pas des Champs-Élysées. « Ce n’est pas un secret que nous cherchions depuis plusieurs années le lieu idéal pour Hauser & Wirth à Paris, et je suis ravi que cette recherche ait abouti. Nous avons un profond respect pour l’incroyable communauté culturelle de Paris. L’importance de la ville pour les artistes au fil des siècles est indiscutable et nous sommes impatients d’ajouter à cette riche histoire », a déclaré Iwan Wirth, président de cette multinationale de l’art « à vocation mondiale », fondée à Zurich en 1992. Ce nouvel acteur parisien s’est engagé « à mettre en place des programmes d’apprentissage inclusifs qui créent un dialogue entre l’art, les artistes et des publics différents ». À suivre. Enfin, rive gauche, à Saint-Germain-des-Prés, secteur qui compte déjà quelques belles adresses de l’art contemporain, comme Georges-Philippe & Nathalie Vallois ou Kamel Mennour, un nouveau lieu spécialisé dans l’art africain verra le jour cet automne. Initié par Charles-Wesley Hourdé, expert spécialisé dans les arts anciens d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique, ce projet s’inscrit dans un contexte parisien très en pointe sur les arts anciens africains, ainsi que sur les scènes contemporaines du continent, comme en témoigne également la tenue à Paris de la foire AKAA (Also known as Africa). « La France est actuellement l’une des scènes culturelles les plus intéressantes au monde. Je n’aurais pas dit cela il y a dix ans, ou cinq ans, constate Jérôme Sans, cofondateur du Palais de Tokyo, qu’il a codirigé jusqu’en 2006. Aujourd’hui, il est clair que Paris redevient une des places les plus vibrantes en Europe. Le monde entier regarde ce qu’il s’y passe. Nous vivons un moment historique, une accélération. Il faudrait être fou pour ne pas vouloir partager cette histoire particulière. » Le commissaire indépendant sera lui aussi de l’aventure en accompagnant le projet de la sculptrice Alicja Kwade sur la place Vendôme, dans le cadre du programme Hors les Murs de la foire.

Les ambitions de Paris+

Cette première édition de Paris+ s’inscrit à tous points de vue dans la continuité de la Fiac. La proportion de galeries françaises y a été respectée (autour de 30 %) et on retrouve, à quelques exceptions près, les mêmes que l’an dernier au Grand Palais éphémère. Art Basel s’y était officiellement engagée auprès de la RMN. « Mais cela correspond aussi à la volonté de créer une identité spécifique pour cette foire parisienne en donnant de la visibilité aux galeries françaises. Si on inclut celles qui ont un espace en France, leur proportion, de 38 %, est encore plus importante qu’à la Fiac », assure Clément Delépine. « Le fait que le contingent de galeries françaises présentes à la Fiac ait été en grande partie maintenu – et il faut le saluer – rend l’accès aux galeries étrangères encore plus sélectif, d’autant que le nombre de places est extrêmement limité et que la demande mondiale est énorme », relève Franck Prazan, de la Galerie Applicat-Prazan. La foire a, en effet, reçu 729 dossiers de candidature pour 156 places seulement, quand Art Basel Bâle en réunit près de 300 ! Cette hyper-sélectivité n’a pas empêché un renouvellement des enseignes étrangères, la foire ménageant un accès à quelques galeries phares, notamment new-yorkaises, comme Peter Freeman ou Matthew Marks qui ne venaient plus à Paris. « Art Basel apporte une ouverture mondiale plus large, en renforçant l’attrait de Paris pour les exposants et les clients », poursuit Franck Prazan. Reste qu’il n’y a pas de recette. « Faire la meilleure foire, ce n’est pas empiler les grosses galeries », affirme Clément Delépine, dont la mission, en tant que directeur, consiste à dialoguer avec le comité de sélection, dont il respecte les choix, en les éclairant. Le cocktail final doit prendre en compte la représentativité internationale, les différents segments du marché (moderne et contemporain), la pertinence des accrochages des galeristes, la primeur et l’importance des pièces qu’ils réservent à la foire, la résonance des œuvres exposées avec l’époque, etc. « La foire est avant tout un événement commercial, mais c’est aussi un événement social. L’enjeu pour une galerie n’est pas seulement de vendre des œuvres, c’est également de rencontrer de nouvelles personnes », rappelle Clément Delépine. « Je suis impatient de voir les gens que nous connaissons déjà, ainsi que les visiteurs qu’Art Basel va attirer, confirme Joseph Allen Shea. Paris+ est un titre approprié en ce sens. » Dans sa profession de foi, Art Basel avait aussi affiché son ambition de « créer des passerelles avec les grandes foires et les industries culturelles françaises – de la mode à la musique, en passant par l’architecture, le design et le cinéma ». Pour l’instant, ces passerelles restent à définir. Mais le message est passé, et l’on verra la Samaritaine se mettre, pendant sept semaines, « en mode arty », le grand magasin promettant des expositions « jusque dans ses vitrines ». La folie de l’art gagne Paris.

« Paris+ par Art Basel »,
du 19 au 23 octobre 2022. Grand Palais éphémère, 2, place Joffre, Paris-7e. Horaires d’ouverture et tarifs d’entrée sur parisplus.artbasel.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Paris plus… que jamais !

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