Art contemporain

Mélanie Matranga, cycle d’humeurs

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2018 - 819 mots

PARIS

L’artiste vient d’intégrer la galerie High Art, qui s’est prêtée au jeu de l’expérimentation à l’occasion de cette première exposition.

Paris. On avait pu découvrir le travail de Mélanie Matranga lors de son exposition dans les sous-sols sombres du Palais de Tokyo en 2015. Différents ensembles atmosphériques étaient agglomérés autour de grandes lampes en papier japonais. Le visiteur pouvait y déambuler, s’installer dans un grand lit blanc en latex pour regarder un film, à moins que ce ne fût lui qui se laisse épier par les regardeurs. Dans cette ambiguïté, le privé et le public se fondaient entre chien et loup, instaurant une possibilité de fiction corollaire à notre occupation du réel.

Dans la grande salle vitrée ouverte sur la rue de la galerie High Art, la lumière est franche et les murs sont d’une blancheur immaculée, rythmée par les moulures du salon haussmannien. De grandes pièces textiles réunies en deux ensembles y ressortent par leurs couleurs pleines et en opposition l’une à l’autre. Sur le mur principal en vis-à-vis des grandes fenêtres, douze grands panneaux de toile noire sont accrochés en kakémono et figurent un motif de lune blanche évoluant de sa version pleine à son plus menu croissant (Calendrier, 2018).

À droite en rentrant, dressé sur des portants de bois, un ensemble de vêtements de toile blanche aux manches jaunes (Sunset, 2018). Rangés par ordre de grandeur, ils forment une déclinaison à laquelle répond le jaune qui se fait plus ou moins invasif selon la taille des vêtements. De l’ombre à la lumière, de la lune au soleil, Mélanie Matranga joue avec des oppositions qui pourraient être celles d’humeurs que l’on occupe (ou qui nous occupent ?) comme on enfile un vêtement ou l’abandonne parce qu’on a grandi.

Changement de décor, d’atmosphère, mais aussi transformation de la galerie : l’accès aux salles du fond a été condamné par une porte. En l’ouvrant, on pénètre dans un petit cabinet qui tient aussi bien des sanitaires (un w.-c., du papier, une pile de magazines – Les Cahiers du cinéma) que de la salle d’attente. Lumière de salle de bain et fond sonore entêtant. On pousse la porte suivante pour pénétrer dans une deuxième cellule, semblable. Les fonds sonores sont extraits d’une émission de radio dans laquelle des gens se confient à propos d’événements qui les ont affectés, manipulations amoureuses, trahisons, déceptions. Intimité des toilettes et gêne d’y voir débouler d’autres visiteurs en écoutant les épanchements en ligne d’inconnus alors que l’on pensait être tranquille. Le travail de Mélanie Matranga reflète cette confusion des genres tellement contemporaine où le personnel se mélange à l’impersonnel. L’exposition s’intitule d’ailleurs « Sorry », soit l’excuse comme manière d’attirer l’attention sur ce que l’on préférerait cacher. Les dessins de T5 (ancien membre du groupe Bazooka) qui tapissent les cabinets viennent rejouer cette extériorisation de l’intime. Les centaines de portraits stockés dans des placards par l’artiste pendant des décennies n’avaient pas nécessairement été produits pour leur « exposition » au regard. Là, on peut les dévisager, assis sur les toilettes. En sortant du deuxième cabinet, on retrouve quelques lunes (noires sur fond blanc cette fois-ci) assemblées en kakémono et deux combinaisons blanches (My Shape, 2018). Dans la pénombre légèrement oppressante du plafond surbaissé, des ampoules lumineuses accrochées à des sculptures vestimentaires animent comme des cœurs artificiels ces mues délaissées.

Indéniablement, l’atmosphère des installations de Mélanie Matranga rappelle celle des chambres de Dominique Gonzalez-Foerster. Si l’artiste admet avoir regardé son œuvre, elle revendique néanmoins plus volontiers une filiation avec Louise Bourgeois, Eva Hesse ou Paul Thek, un goût pour les matériaux qui font chair et pour la manifestation obstinée du corps dans l’œuvre. Un corps partout suggéré ici, comme un signe en négatif que le visiteur peut venir investir du sien.

L’exploration de possibilités, non le commerce de produits finis

Avec cette exposition qui transforme radicalement l’espace de la galerie, High Art développe une approche de la relation au projet de l’artiste qui s’éloigne de la médiation de produits finis au profit de l’exploration de possibilités. Un état d’esprit que partagent galeristes et l’artiste, laquelle affirme que « c’est l’exposition qui fait objet, ce ne sont pas les objets qui font exposition ». La galerie flirte ici avec la mission du centre d’art, faisant de son espace un lieu d’expérimentation, accompagnant l’artiste dans la production de projets. Si les cabinets ne sont pas à proprement parler à vendre, les lunes le sont (4 000 € le panneau avec une lune, 20 000 € l’ensemble du grand Calendrier), les sculptures vestimentaires également (8 000 €).

Pour cette galerie relativement jeune, très bien identifiée dans les réseaux internationaux et qui représentait jusqu’à présent uniquement des artistes étrangers, il était nécessaire de démarrer une collaboration avec une artiste française pour ne pas rester ici hors sol. La venue de collectionneurs parisiens qui n’avaient encore jamais visité la galerie semble leur donner raison.

Mélanie Matranga, Sorry, jusqu’au 26 mai, High Art, 1, rue Fromentin, 75009 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : Mélanie Matranga, cycle d’humeurs

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