Ventes aux enchères

Marylin, Maria et Jackie déchaînent les passions

La vente aux enchères des effets personnels de célébrités est un secteur en plein essor depuis une décennie

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2003 - 2064 mots

Entre strass et paillettes, les ventes de stars mobilisent la force incantatoire des objets les plus anecdotiques. Si les dispersions d’œuvres d’art collectionnées par les célébrités sont assimilées aux vacations classiques, les ventes de souvenirs relèvent davantage du fétichisme. Souvent dépourvues de prétention artistique, ces dernières traduisent, mieux que toutes autres, la folie des enchères.

PARIS - Consubstantiel des sociétés de ventes anglo-saxonnes, le glamour a fait une entrée plus prononcée sur le marché avec le développement depuis les années 1990 des ventes de célébrités. Ce tournant coïncide avec la médiatisation accrue des maisons de ventes et l’explosion des publications people. Le département Memorabilia a été créé chez Sotheby’s au milieu des années 1970, tandis que Christie’s Londres a lancé le sien en 1985. Ce dernier s’est scindé en deux catégories dans les années 1990, Film et Pop Memorabilia Sales. Le rythme annuel est de cinq vacations à Londres et de deux à New York pour un chiffre d’affaires d’environ 1 million de livres sterling (1,55 million d’euros), somme assez respectable au regard d’un marché encore neuf. Les dispersions ont débuté chez Christie’s New York en 1992 avec la vente Joan Crawford avant de se poursuivre avec celles de Clark Gable (1993) puis de Lana Turner (1994).

À l’image des successions plus classiques, ces affaires sont décrochées grâce à l’entregent soutenu auprès des ayants droit. La vente des effets personnels de Marylin Monroe des 27 et 28 octobre 1999 a ainsi été obtenue par Christie’s grâce aux contacts noués par Nancy Valentino (senior vice-president du marketing chez Christie’s) avec la famille de Lee Strasberg, mentor de Marylin et dépositaire de ses effets. La gestion de la charge émotive liée à ces objets semble épineuse. “On ne peut pas arriver dans les familles de stars et commencer à tout juger avec un œil commercial. C’est très difficile d’être apparenté à une star car, quoi qu’on fasse de ses effets personnels, on est soumis à la critique”, déclare Nancy Valentino. Le collectionneur Nicolas Petsalis-Diomidis semble plus circonspect quant aux méthodes anglo-saxonnes : “J’avais commencé à croire que certaines forces supérieures prenaient un malin plaisir à disperser ce qui restait des effets personnels de la Callas lorsque je fus contacté par les maisons Sotheby’s, Christie’s et Phillips pour une mise en enchères de la collection, probablement à New York. Je résistais à ces propositions, déçu par l’approche anglo-saxonne qui voyait l’événement comme une simple affaire commerciale”, écrit-il dans la préface du catalogue de la vente des effets personnels de Maria Callas chez Calmels, Chambre et Cohen, à Paris, les 2 et 3 décembre 2000.

L’organisation de ces ventes prend les mêmes formes que celles des grandes collections d’art. “Dans les ventes classiques, les œuvres parlent d’elles-mêmes et génèrent des articles dans la presse spécialisée. Avec la vente de star, on a une visibilité plus grande car on touche une autre presse, plus ‘grand public’, déclare Emmanuelle Vidal, directeur du développement de Christie’s France. Cela augmente sans doute les chances de bien vendre, mais ce n’est pas prouvé. La latitude budgétaire ne diffère pas des grandes collections, pour lesquelles l’effort est juste plus discret. La marge de manœuvre pour la collection Akram Ojjeh n’est certainement pas moindre que pour Marylin. L’excitation du public est juste plus feutrée. On débloque peut-être davantage de crédits pour des ventes de stars, car il faut plus de gardes du corps.” La grande machinerie Marylin aura tout de même nécessité un an et demi d’organisation et l’impression de 60 000 catalogues, diffusés notamment par la chaîne de librairies Barnes & Nobles. La semaine du preview estival, près de 25 000 personnes se sont rendues en pèlerinage dans les locaux de Christie’s New York. Les deux sessions de vente furent dignes d’un marathon. La première vacation, qui ne présentait que cinquante-cinq objets phares, n’a duré guère plus de trois heures. La seconde en revanche a démarré à 10 heures du matin pour finir à 22 h 30, cinq auctioneers s’étant relayés au pupitre. La dispersion consacrée à Jackie Kennedy-Onassis, répartie en neufs sessions entre les 23 et 26 avril 1996, fut tout aussi homérique, comme en témoignent ces chiffres : 40 000 visiteurs, 10 692 catalogues vendus et 6 000 objets adjugés.

Absence d’étalons de valeur
Les ventes de Memorabilia posent à la fois la question des estimations, régulièrement pulvérisées, et de la provenance. S’il existe des étalons de valeur pour une commode Louis XV ou une laque de BVRB, les objets de stars ne peuvent décemment figurer dans des argus spécifiques. Le choix peut être dès lors de négliger le pedigree. Ainsi les estimations de la vente Beaussant-Lefèvre consacrée aux effets de la princesse Soraya du 29 au 31 mai 2002 ne tenaient-elles pas compte de la valeur ajoutée d’une princesse populaire. Les ventes de célébrités jouissent d’un taux négligeable d’invendus. On compte en moyenne entre 95 et 100 % de lots vendus, la duchesse de Windsor, Marylin Monroe et Jackie Kennedy détenant la palme. La vente de Marylin quadrupla les estimations en totalisant 13 405 785 dollars (12 995 108 euros), pour près de mille lots. Cette folie fut renouvelée lors de la dispersion de la demeure du prince et de la princesse de Windsor, orchestrée en dix-huit sessions du 11 au 19 septembre 1997 par Sotheby’s. Une boîte contenant une part de leur gâteau de mariage, très vraisemblablement moisi, estimée 500 à 1 000 dollars, fut adjugée à un couple de californiens pour 29 900 dollars ! Symbole suprême de l’amour, la table sur laquelle le roi Edward signa son abdication, estimé 30 000 à 50 000 dollars, multiplia par huit son estimation pour atteindre 415 000 dollars.

Les questions de provenance sont quant à elles cruciales, notamment pour les objets sériels. “La déontologie et le sérieux sont les mêmes que pour toutes les autres catégories”, insiste Nancy Valentino. “Si l’on vend un costume ou un accessoire provenant d’un film, nous regardons ce film à plusieurs reprises. Nous vérifions auprès de la compagnie cinématographique si les objets lui semblent authentiques”, renchérit Sarah Hodgson, responsable du département Memorabilia de Christie’s Londres. La société Beaussant-Lefèvre, ordonnatrice de la vente Soraya, a fait appel au concours de Cyrille Boulay, spécialiste des têtes couronnées, pour retracer durant cinq mois l’histoire des objets. Une abondante iconographie n’a pas manqué de les valoriser. Les bijoux princiers, visibles sur nombre de photographies, ne posaient guère de problème d’identification. Il n’en allait pas de même pour des objets plus anodins, voire défraîchis, qui exigeaient un vrai jeu de piste. Chaque objet fut ainsi répertorié et restitué dans son contexte, garantie nécessaire pour le futur acquéreur. La bague en platine sertie d’un diamant de plus de 22 carats qu’on devine être la bague de fiançailles de la princesse ne portait toutefois pas de mention. “En tant que spécialiste du gotha, je suis convaincu que c’est sa bague de fiançailles. On a préféré mettre une réserve car nous ne disposons pas de photographies. On se prémunit contre d’éventuelles récriminations”, commente Cyrille Boulay. Les experts en bijoux ont de leur côté assorti leurs notices de certificats du Laboratoire français de gemmologie ainsi que du Gemmological Institute of America. “La qualité des pierres n’est pas fonction des propriétaires. Par exemple, pour la vente Windsor, on a vu une fausse perle peinte sur une monture Cartier. On peut avoir dans n’importe quelle succession des pierres de qualité et d’autres de moindre qualité. Pour des pierres de moins grande importance, il est préférable de ne pas demander de certificat et de laisser le charme agir”, explique l’expert Emeric Portier. Les experts ont préféré faire appel au laboratoire américain pour l’analyse des deux diamants, lots phares de la vente, plutôt qu’à son homologue français. “Avec des pierres très haut de gamme, vous vous adressez à une clientèle internationale. Le laboratoire américain a une meilleure aura que le laboratoire français, reconnaît l’expert. Au niveau des capacités, le laboratoire français est tout aussi apte, mais la clientèle américaine et proche-orientale accorde davantage de crédit au premier.”

“Un bout de royauté”
Peut-on soupçonner l’entourage d’une star de proposer des objets récents pour profiter de la surenchère afférente à ces ventes ? “Je ne le crois pas. Lorsque nous avons mis en vente la collection de John Reid, ancien producteur d’Elton John, beaucoup de ses amis ont acheté des objets qui leur rappelaient des souvenirs. Je ne crois pas que ce genre de perversité puisse exister car ces ventes nécessitent fraîcheur et sincérité”, estime Emmanuelle Vidal. Ces ventes battent le rappel des amateurs de reliques, mais aussi des relations mondaines des stars. Ainsi, dans la vente Sinatra en 1995 chez Christie’s, des proches du chanteur, John et Edna Mae Marta, ont enchéri pour emporter la Jaguar fétiche de 1976. Une dispersion en vente publique suscite parfois quelques émois dans l’entourage des stars, voire une franche hostilité. Un comité grec avait ainsi décidé d’acheter les lots de lingerie offerts en pâture aux aficionados de la Callas pour les brûler. Les deux vacations des effets de Barbara en janvier et juin 2000 ont généré d’autres remous, certaines pièces ayant été prestement retirées de la vente. “Nous avons été étonnés par cette vente, mais Barbara elle-même disait que les objets devaient circuler. Ce qui était important pour nous, c’était d’acheter des objets significatifs qui puissent un jour profiter à son public. Nous avons eu un réflexe patrimonial”, souligne le président de l’association Perlimpinpin-Barbara, Didier Millot, pour se distinguer du seul attrait fétichiste. Les ventes de stars prennent parfois les atours philanthropiques d’une charity sale. L’instinct caritatif anglo-saxon étant fortement aiguisé, ces vacations ont toutes chances de se solder par un succès. Une vente de charité organisée en juin 1997 par Christie’s a mis à l’encan 79 robes de Lady Di pour un total de 3 250 750 dollars. “On achète une robe de Lady Di en pensant acheter un bout de royauté”, avoue Cyrille Boulay, spécialiste du Gotha. Ces dispersions offrent un bon baromètre de la popularité des stars et des membres de la jet-set. Si la princesse de Galles affiche une cote d’amour sans faille, tel n’est pas le cas de toutes les vedettes. La vente Unforgettable, Fashion of the Oscars organisée par Christie’s est un témoin de ces disparités. Si une robe de Madonna s’est arrachée à 79 500 dollars, une robe de la moins célèbre Holly Hunter n’a atteint que 3 222 dollars. De même, 40 % des acquéreurs de la vente Marylin étaient étrangers, chiffre témoignant de l’aura internationale de l’actrice, contre seulement 8 % des enchérisseurs pour Jackie Kennedy.

Des reventes rares
Les reventes intempestives sont plus rares, les fans chérissant jalousement ces icônes. Des tombereaux d’opprobre se sont ainsi abattus sur une Américaine qui avait spéculé sur la mort de Lady Di. La semaine du décès de la princesse, l’acheteuse avait décidé de remettre en vente une de ses robes en indiquant un prix supérieur à celui de son adjudication lors de la charity sale. L’appât du gain n’est toutefois pas étranger aux démarches d’achat. La robe portée par Marylin lors du célèbre anniversaire de John F. Kennedy en mai 1962, adjugée 1 267 500 dollars, relève ainsi de l’achat raisonné. “Je l’ai acquise dans une optique d’investissement, reconnaît Robert Schagrin, directeur de Gotta Have it, société de ventes aux enchères d’effets de stars. Le lendemain de la vente, un particulier a proposé de me l’acheter en rajoutant 300 000 dollars à la somme. Alors, il est évident qu’elle vaut beaucoup plus qu’on ne le croit. Elle est pour le moment dans un musée privé et elle n’apparaîtra pas de sitôt sur le marché. Ces objets sont de vrais investissements. Lorsque nous avons commencé notre affaire, il y a neuf ans, un disque signé des Beatles valait 1 500 dollars. Maintenant, il vaut entre 25 000 et 55 000 dollars.” Sa société spécialisée dans le commerce de souvenirs de stars entend développer annuellement six à sept ventes de stars. Certaines vacations sont étalées sur plusieurs jours via Internet et en collaboration avec Sotheby’s. Le succès de cette société repose sur sa souplesse et sa capacité à monter en trois semaines des ventes lorsque d’autres maisons y consacrent entre six mois et un an. Gotta Have it dispose d’une équipe de cinq spécialistes, souvent transfuges de Christie’s ou de Sotheby’s, et compte même dans son équipe d’anciens médecins légistes du FBI ! Les voies du fétichisme sont impénétrables...

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Marylin, Maria et Jackie déchaînent les passions

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