Marché de l’art français : « Mind the gap »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 octobre 2010 - 995 mots

Une nouvelle étude commentée par Guillaume Cerrutti apporte un éclairage complémentaire sur le marché de l’art en France.

PARIS - Nombre de rapports mettant en exergue les spécificités et difficultés du marché de l’art français sont apparus ces dernières années : rapports d’activité du Conseil des ventes volontaires, rapports de Tefaf, rapport Bethenod, rapport du Conseil économique et social ou encore le dernier rapport sur Drouot remis à la garde des Sceaux en avril 2010 (lire le JdA no 331, 24 septembre 2010, p. 23).  Dans un contexte de réforme des textes de loi encadrant les ventes publiques françaises, les professionnels de l’art s’appuient sur ces rapports pour pousser les pouvoirs publics à prendre les bonnes initiatives afin d’inverser le processus d’érosion de la place de la France sur le marché de l’art mondial. Ainsi, Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France, vient de publier un article intitulé Mutations du marché mondial de l’art, paradoxes du marché français dans la revue trimestrielle Commentaire d’automne 2010. Son analyse s’appuie sur une étude de mai 2010 sur le marché de l’art français, The French Art Market – A Summary of Key Figures rédigée par Clare McAndrew (1). Cet opus, intéressant à plus d’un titre, rappelle que la part du marché de l’art français dans le monde, et en Europe, n’a cessé de se réduire au fil des dernières années. Elle est de 9,3 % au niveau mondial en 2003 (17,8 % au niveau européen) et descend à 6 % en 2008 (11,9 % en Europe). En 2007, la France a cédé à la Chine la troisième place du marché de l’art mondial (derrière les États-Unis et le Royaume-Uni), pour régresser à la quatrième position. En 2009, grâce à la vente de la collection Saint Laurent-Bergé qui a enregistré à elle seule près de 25 % du chiffre d’affaires des maisons de ventes françaises, la France a représenté une part de 9 % du marché de l’art mondial (18,3 % au niveau européen). « Mais cet événement historique ne se renouvellera, hélas, pas tous les ans, et il est probable que la tendance à la baisse observée jusqu’à l’an dernier reprendra son cours dès cette année. Même si les grandes maisons de ventes françaises affichent au premier semestre 2010 des résultats plutôt encourageants, la reprise est moins nette à Paris qu’à Londres et à New York », analyse Guillaume Cerutti. 

Un marché peu international
Notons encore que le prix moyen des œuvres fine art vendues aux enchères sur le territoire français en 2009 est trois fois inférieur à ceux constatés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Chine. 97 % des lots adjugés en France le sont pour un montant inférieur à 50 000 euros. La France compte à peine 1 % des 1 254 adjudications ayant dépassé le million de dollars dans le monde en 2007. L’art moderne (portant sur les artistes nés entre 1860 et 1920) est le secteur dominant dans l’Hexagone en 2009, en volume (50 % des enchères) comme en valeur (64 %). C’était déjà le cas en 2000, avec 48 % en valeur, pour un volume d’enchères quasi équivalent. Mais les plus beaux morceaux se vendent ailleurs… Pourrait-il en être autrement ? « Il y a plus de chance que le marché de l’art impressionniste et moderne s’installe à Hong Kong, qui enregistre une croissance à deux chiffres, qu’à Paris, lance Thomas Seydoux, directeur international du département d’art impressionniste et moderne chez Christie’s. Car le marché se développe là où se trouvent les acheteurs, pas les vendeurs ! » Une autre donnée intéressante, qui constitue une particularité française, porte sur les œuvres d’artistes français. Alors que sur les places de marché anglo-saxonnes, les ventes publiques brassent une large gamme d’œuvres d’art internationales, les vacations françaises se concentrent davantage sur les productions d’artistes nationaux. En 2009, 59 % des œuvres fine art vendues en ventes publiques étaient signées d’artistes français (62 % en 2008). Ces œuvres « nationales » dispersées en France représentent 49 % des enchères en valeur (57 % en 2008). Le marché de l’art français a donc un profil beaucoup moins international que les places anglo-saxonnes, ce qui constitue un autre écueil à son développement. 

Bénéfique pour l’économie
Une étude des flux internationaux nous apprend que 846 millions d’euros d’œuvres d’art ont été exportés hors de France en 2009, soit plus du double du montant des importations (393 millions d’euros). L’art qui quitte la France part principalement aux États-Unis (33 %) et en Suisse (32 %). Le rapport indique que, cette même année, 5 % des exportations ont eu pour destination les Émirats arabes unis et 4 % le Qatar, en raison des mouvements d’œuvres d’art orchestrés par les nouveaux musées dans ces régions. Le Royaume-Uni et la Chine récupèrent à eux deux 9 % des exportations françaises. 38 % des importations d’œuvres d’art dans l’Hexagone ont pour pays source les États-Unis, devant la Suisse (24 %). Tandis que 6 % des œuvres d’art entrant sur le sol français proviennent de Chine, et 7 % du Royaume-Uni et d’Italie.  Il n’est pas étonnant d’observer d’importants mouvements de fine art entre la Suisse et la France. En effet, la Suisse compte un grand nombre de musées, de fondations, de professionnels du marché de l’art et, surtout, d’amateurs privés. Elle attire largement les collectionneurs par ses avantages fiscaux, mais également les marchands pour la sécurité de ses ports francs.  Enfin, l’étude met en évidence la contribution du marché de l’art à l’économie française. 9 700 entreprises interviennent directement dans ce secteur, générant un volume de 43 370 emplois. Il faut ajouter à ces chiffres l’ensemble des activités périphériques. Le marché de l’art en France constitue donc un secteur non négligeable, dont le développement ne peut avoir qu’un effet bénéfique sur l’économie du pays.

(1) Docteur en économie culturelle, spécialisée dans le marché des beaux-arts et des arts décoratifs, auteur en 2010 d’un rapport commandé par Tefaf sur le marché de l’art pour la période 2007-2009

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Marché de l’art français : « Mind the gap »

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