Polémique

Les mystères d’une vente d’archéologie

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2005 - 903 mots

La vente d’une collection inconnue d’archéologie au Crédit municipal de Paris le 16 décembre soulève les questionnements du marché et des musées.

PARIS - Les 24 lots de collection d’archéologie du « Docteur K. » dispersés par le Crédit municipal le 16 décembre pour un total de 2,1 millions d’euros ont suscité les interrogations des marchands et des musées. D’après le dossier de presse de « Ma Tante », cette collection au curieux libellé kafkaïen trouverait son origine en 1870 lorsqu’une famille alsacienne quitte la France pour s’installer en Afrique du Nord. L’arrière-grand-père du supposé docteur K. aurait commencé à acheter des pièces d’Antiquité en Europe et au Maghreb. De retour en France dans les années 1960, cette collection aurait sommeillé plusieurs dizaines d’années dans l’une des résidences familiales en province avant d’apparaître sous le marteau du Crédit municipal de Paris.

Cette collection était totalement inconnue des musées et des marchands. « Je n’ai entendu parler de cette collection qu’en 2004. Elle n’était pas connue des marchands parisiens avant, ce qui paraît étonnant », remarque l’expert et marchand Jean-Philippe Mariaud de Serres. D’après le Crédit municipal, le vendeur aurait mis ces pièces en gage pour satisfaire « un projet d’acquisition à caractère patrimonial ». L’engagement des objets s’est opéré en plusieurs fois, à des dates de contrat différentes, le premier remontant à l’été 2003. Alors même que le vendeur avait commencé à mettre des objets au clou, il est surprenant qu’il ait continué d’acheter. En février 2004, il a acquis auprès du négoce parisien une statue acéphale en marbre sculpté en haut relief d’un personnage romain. Celle-ci s’est retrouvée dans la vente, où elle a été adjugée pour 45 000 euros. Parmi les lots proposés lors de la vacation, se trouvaient un bronze représentant Satyre portant Bacchus, art hellénistique du Ier siècle avant J.-C, adjugé 1,8 million d’euros, ainsi qu’une Vénus debout à sa toilette, appuyée sur la jambe droite, provenant d’Afrique du Nord ou d’Alexandrie. Les deux pièces étaient dotées d’un rapport de restauration émis par la Maison André, agréée par les Musées nationaux. « Je ne connais pas de docteur K. Au printemps 2004, l’expert Michel Cohen dépose chez moi la Vénus, que je nettoie et socle avant de la restituer à Michel Cohen, nous a confié le restaurateur Jean-Michel André. Quelque temps plus tard, un certain Leroy, apparemment originaire d’Afrique du Nord, revient avec la pièce car le socle s’était cassé. Plus tard, il apporte le Satyre pour que je le nettoie. À l’automne, il me demande un rapport de restauration en précisant que le Satyre devait être cédé à un prince arabe. J’ai découvert avec stupéfaction et mécontentement que ces rapports servent de caution dans une vente publique. » Le docteur K. ne serait-il qu’un écran de fumée ? Un certain docteur Keucker, médecin sur la côte d’Azur, existe bel et bien. Son identité ne fait toutefois pas taire les rumeurs. « Mettre en vente cette collection au Crédit municipal, c’est peut-être une manière d’officialiser une marchandise chaude », s’aventure un spécialiste. D’après certains professionnels, aucune pièce ne disposait de réparations ou de socles anciens.

D’où sort  ce vase ?
Sur les vingt-quatre pièces authentifiées par Chakib Slitine, expert de la vente et par ailleurs du Sésostris III de François Pinault, cinq sont restées invendues, dont deux lots phares. C’est le cas de la Vénus à sa toilette et du cratère en calice, une céramique à figures rouges sur fond noir (Grèce, Ve siècle av. J.-C). Le Musée du Petit Palais à Paris avait déposé une demande de préemption avec un plafond de 110 000 euros pour le cratère. Celui-ci a semblé partir au téléphone pour 170 000 euros, mais le lot s’est révélé invendu après coup. « C’est une pièce extraordinaire, qui pourrait intéresser un musée. Il n’y a pas de problème d’authenticité, mais toute la question est : d’où sort ce vase ? », remarque un observateur.

Outre l’absence de provenance, certaines attributions prêtent aussi à controverse. Des doutes planent pour le Satyre. Les détails sont moins soignés que ce que l’on serait en mesure d’attendre pour une pièce de cette dimension. Certains spécialistes arguent du fait que ce modèle très connu se trouve depuis le XIXe siècle au catalogue de la fonderie napolitaine Chiurazzi, encore active aujourd’hui. « Le Satyre me semble bon jusqu’au bout, maintient Jean-Michel André. Il y a des oxydes qui ne se fabriquent pas en trois jours. Mais il est vrai que le travail est très grossier. Ce qu’il a contre lui, aussi, c’est que le métal est un peu jaune laiton. » Rappelons que les faussaires sont devenus maîtres dans l’art du vieillissement artificiel des bronzes.

Deux autres lots sont sujets à polémique. Le premier est une plaque rectangulaire en marbre sculptée d’une scène d’intérieur, art romain Ier siècle, adjugée pour 10 000 euros, au-dessus de son estimation haute. « Le style cloche apparemment. Toute la scène comporte des erreurs qui ne correspondent pas à l’Antiquité grecque ou romaine », remarque un expert. La seconde pièce est une statue en marbre de la déesse Hygie, fin de l’époque hellénistique, restée invendue. « Cela a l’air d’un marbre reconstitué, mais on ne peut rien dire sans test », poursuit le même expert. Informé des rumeurs, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) a effectué des vérifications sur la légalité de la vente sans relever d’infraction d’ordre pénale. À suivre...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : Les mystères d’une vente d’archéologie

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