Ventes aux enchères

XIXE SIÈCLE

Les hauts et les bas de la peinture Pompier

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2019 - 966 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

L’art pompier, longtemps méprisé de ce côté de l’Atlantique, suscite un regain d’intérêt du marché depuis quelques années. Pourtant l’immense tableau de William-Adolphe Bouguereau, estimé bien trop cher, n’a pas trouvé preneur à New York.

William Bouguereau, La jeunesse de Bacchus, 1884, huile sur toile, 331 x 610 cm. © Photo Sotheby’s.
William Bouguereau, La jeunesse de Bacchus, 1884, huile sur toile, 331 x 610 cm.
© Photo Sotheby’s.

New York. Le 14 mai, Sotheby’s mettait en vente La Jeunesse de Bacchus (1884), de William Bouguereau, une peinture très académique que la maison avait pourtant décidé d’inclure dans sa vente d’art impressionniste et moderne. « Nous pensions que cette œuvre dépassait le cadre de la clientèle de la peinture du XIXe, qu’elle pouvait intéresser les clients d’art moderne », expliquait avant la vente Pascale Pavageau, directrice du département des tableaux XIXe chez Sotheby’s Paris. Malheureusement, l’expérience a échoué. Bouguereau n’a pas encore l’aura d’un Monet, qui vient à nouveau de battre son record. Estimé 25 à 35 millions de dollars – un montant hors-norme pour ce genre de peinture –, les enchères n’ont pas franchi la barre des 18 millions de dollars et le tableau a été ravalé. Bien que l’huile sur toile de six mètres de long soit incontestablement une icône de la peinture académique française, « il ne faut pas oublier que ce sont les acheteurs qui font le marché et non les vendeurs, alors que les deux le prétendent. Quoi qu’il en soit, si un tableau ne se vend pas, c’est qu’il est trop cher ! », a commenté au lendemain de la vente un connaisseur du marché. Pourtant, 18 millions, ce n’est pas rien, quand on sait que le record de l’artiste ne dépasse pas les 3,5 millions de dollars.

La perfection dans le détail

Bouguereau, adulé en son temps, puis longtemps boudé après sa mort en 1905, symbolise presque à lui seul l’art pompier. « Le terme pompier est un adjectif plutôt caricatural, employé avec une vision un peu critique. Il est utilisé pour illustrer les casques, les armures, tout le côté très démonstratif, historique, clinquant et hyperréaliste qui figurait dans ce genre de tableaux », explique Matthieu Fournier, responsable des maîtres anciens et du XIXe chez Artcurial. Si l’origine de ce nom reste un mystère, il a été apposé sur le tard pour évoquer l’art officiel – la peinture académique – de la seconde moitié du XIXe. « Il fait référence à un art extrêmement léché répondant à des canons esthétiques très précis », ajoute Pascale Pavageau. Cependant, le « pompiérisme » n’est ni une école, ni un corpus clairement défini. « Jamais nous n’avons employé le terme de pompier, car cela ne veut rien dire. Toutefois, l’une des plus belles peintures du XIXe est la peinture académique », rapportent les marchands belges Patrick et Viviane Berko, spécialisés dans le XIXe depuis 45 ans.

Cet art « académique » va régner sans partage depuis son essor sous Napoléon III pour culminer sous la IIIe République. Ses représentants les plus fameux – William Bouguereau, Alexandre Cabanel, Ernest Meissonier, Jean-Léon Gérôme, Édouard Detaille, Auguste Toulmouche... – ont tous été formés et récompensés par les grandes institutions étatiques, École des beaux-arts, Académie ou Salons.

Mais dans les années 1890, il est bousculé par une multitude de courants novateurs, dont l’impressionnisme, en réaction à son empire. « Il est considéré comme rétrograde par toute l’avant-garde », souligne Pascale Pavageau. Et si cette peinture hyperréaliste perdure jusque dans les années 1930, « elle devient ringarde après la Première Guerre mondiale », observe Matthieu Fournier. Durant la majeure partie du XXe, cet art continue de faire l’objet d’une dépréciation sous la plume des critiques, agacés par la trop grande maîtrise de ces peintres et y voyant l’incarnation du mauvais goût du XIXe siècle, « goût qui correspond à celui des financiers de la révolution industrielle pour un art facilement consommable et appréhendable », estime le spécialiste. À l’époque, seul Ingres compte. Tout le reste est sous-considéré, oublié des adjudications et travaux universitaires, et du grand public.

Une renaissance en 1970

Ce n’est que depuis les années 1970 que cet art est progressivement réévalué. « Sa redécouverte est due à l’historien d’art Bruno Foucart. À l’époque, cette peinture ne vaut pas grand-chose, mais il va encourager les acteurs du marché à poser un autre regard sur elle et faire prendre conscience de son importance », raconte Matthieu Fournier. Ce type de peinture était pourtant resté très apprécié aux États-Unis, où beaucoup de ces artistes se vendaient directement de leur vivant. « Dans les années 1980-1990, le marché y était très fort », précise Pascale Pavageau. De leur côté, Patrick et Viviane Berko assurent que « depuis environ cinq ans », ils constatent que de plus en plus de jeunes collectionneurs issus de tous pays s’y intéressent.

Le montant le plus élevé pour une toile de cette période revient à Bouguereau avec La Charité, vendue en mai 2000 pour 3,8 millions d’euros (Christie’s New York), suivie de la Naissance de Vénus, de Cabanel adjugée 850 000 euros deux ans plus tard. Le record jusqu’à ce jour est toutefois détenu par les peintres « pompiers » anglais de l’époque victorienne avec La Découverte de Moïse, de Lawrence Alma-Tadema, vendue 25,2 millions d’euros en mai 2011 (Sotheby’s New York).

Si, d’une manière générale, les prix culminent autour de 250 000 euros, « aujourd’hui, pour 10 000 euros, vous avez un très beau tableau pompier, pas forcément d’un grand nom, mais très bien peint, dans un état de conservation le plus souvent parfait », affirme Matthieu Fournier. « Le problème est de trouver de beaux et bons tableaux de qualité. Ils deviennent de plus en plus rares à trouver, parce que les collectionneurs achètent par goût et non dans un but lucratif. Ils ne revendent donc que très exceptionnellement », confient Patrick et Viviane Berko. Par ailleurs, « globalement, les chefs-d’œuvre de cette peinture ont été achetés du vivant de l’artiste, par des particuliers ou par le Musée du Luxembourg, ce qui explique qu’il n’y ait pas de gros prix récents sur le marché ».

Le rendez-vous raté pour La Jeunesse de Bacchus ne devrait pas refroidir le marché.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Les hauts et les bas de la peinture Pompier

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