Galerie

Objet du XXe

Les choses de l’esprit

À Paris, Sammy Engramer tisse entre ses objets des liens formels et conceptuels tangibles

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2011 - 768 mots

PARIS

PARIS - « Suis-je capable de faire de l’esprit un jeu d’esprit ? », se demandait Sammy Engramer (né en 1968) en 2002, au dos de l’un de ses multiples opuscules, dont les dessins et divagations philosophico-poétiques ont constitué le ferment des œuvres à venir.

Assurément oui, Engramer fait preuve, pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie Claudine Papillon, à Paris, d’une agilité et habilité certaine dans l’art de manier à la fois le mot et la chose, à l’exemple, dès l’entrée, de Bubble Pipe. Cette pipe surmontée d’une ampoule jaune et ronde est fixée sur un miroir circulaire qui offre à la fois l’objet et son image (à la fois « ceci est une pipe » et « ceci n’est pas une pipe »). L’œuvre, qui existe en deux exemplaires, avait déjà été vendue deux fois quelques jours après le vernissage. À ses côtés, Boomrule, boomerang gradué telle une règle jaune de maître d’école, entraîne dans son sillage des images tant verbales que sensibles : mesurer l’ampleur du geste du lanceur, une ellipse dans l’air, un espace ouvert…

C’est donc sous le signe de Magritte et de son humour corrosif que l’artiste « trahit » quelques-unes des images de notre culture : un urinoir inversé et laqué de noir devient un Urinoirnoir très tribal ; posé dans un coin, un Néo-Cadere est sous-titré « à mobilité réduite », et pour cause, le bâton est réalisé à partir d’un néon allumé. Mais l’intérêt de ce travail ne réside pas dans un commentaire, fut-il irrévérencieux, d’œuvres clés de la modernité. S’il donne lieu à des trouvailles formelles, c’est qu’il s’ancre dans une culture de la chose vue, parallèlement à une relecture de l’histoire. Pour Holy White Cube, la croix blanche de Malevitch est dessinée dans un panneau de bois qui prend la forme d’une boîte d’archives à monter soi-même. Cette même croix se superpose, dans Cross-Christ, à un dessin d’architecture reproduisant le plan centré d’un temple protestant. Convaincu d’une « relation inavouée » entre l’architecture protestante et le white cube, Engramer s’est lancé dans une recherche avec la collaboration de deux universitaires. Les conclusions de cette étude, intitulée « White is White », l’amènent aujourd’hui à réinterpréter dans ses objets les aspects religieux qui « conditionnent le musée d’art contemporain comme la galerie privée ». L’artiste revient ainsi sur les fondements du principe d’exposition avec Big Gallery, un châssis qui montre ses baguettes assemblées comme autant de cloisons d’un espace, et emboîte l’un dans l’autre, en une équivalence évidente, tableau et architecture.

Nouveaux amateurs
Si ces objets cultivent une forme d’absurdité, ils séduisent aussi par leur conjugaison du rudimentaire et de l’élégance. Claudine Papillon n’est pas mécontente : en moins d’une semaine, elle a vendu entre quatre et cinq pièces à de nouveaux amateurs, pour la plupart. Certes les prix, situés entre 1 200 et 7 500 euros, sont attractifs. Mais la galeriste défend l’idée de « distribuer les choses », pour susciter chez le collectionneur le désir de soutenir une œuvre dans le temps. Bien qu’Engramer soit représenté en Allemagne par la Galerie Traversée (Munich), ses prix ne sont pas assez élevés pour attirer un large public étranger. Sans doute celui-ci, vivant à Tours, s’est-il engagé moins tôt que l’un de ses amis et contemporains, Mathieu Mercier, dans une carrière d’artiste. Ce dernier, reconnu aujourd’hui internationalement, l’a invité à participer en 2007 à la 9e édition du prix Ricard dont il était le commissaire. C’est à la suite de cette exposition qu’il est entré chez Claudine Papillon.

Si son travail commence à intéresser les collectionneurs privés, Engramer est encore peu soutenu par les institutions. À peine est-il présent dans trois collections publiques, dont le Fonds départemental d’art contemporain de l’Essonne, avec une sculpture monumentale réalisée dans le cadre d’une invitation en 2007 au Domaine départemental de Chamarande. Ses intérêts élargis à la notion d’art public l’ont pourtant conduit à plusieurs commandes, notamment en 2010 avec le centre d’art contemporain de Pougues-les-Eaux (Nièvre) pour Some Half Clothespin, « demi-sculptures à la gloire de l’enfance » installées à Nannay. Tandis qu’European Think Tank, espace mobilier de vie collective, a été inauguré en mars 2011 pour l’École supérieure des arts du Nord - Pas-de-Calais et le département Arts plastiques de Lille-III.

SAMMY ENGRAMER, OBJET(S) DU XXE SIÈCLE

Nombre d’œuvres : 18
Prix : entre 1 200 et 7 500 €

Jusqu’au 22 décembre, galerie Claudine Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris, tél. 01 40 29 07 20, www.claudinepapillon.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h.
À lire : Log, Sammy Engramer, éd. Hyx, Orléans, 2010, 128 p., 22 €, ISBN 978-2-9103-8563-7

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Les choses de l’esprit

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