L’envolée des surréalistes belges suit la tendance

La cote de Magritte et Delvaux s’emballe sans pour autant entraîner les autres protagonistes du mouvement

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 février 2003 - 1219 mots

Le marché des peintres surréalistes est en pleine ascension. La tendance se confirme pour les deux représentants belges du mouvement, Magritte et Delvaux, dont les prix records se succèdent depuis 1998. Magritte, à qui la galerie nationale du Jeu de paume, à Paris, consacre une grande rétrospective jusqu’au 9 juin, conserve cependant une large tête d’avance. Une de ses toiles a passé le cap des 10 millions d’euros en 2002.

PARIS - L’intérêt pour la peinture surréaliste ne s’est jamais autant manifesté qu’aujourd’hui. Le nombre d’expositions d’envergure internationale, à l’instar de La Révolution surréaliste organisée par le Centre Pompidou en 2002, focalise l’attention des collectionneurs sur un des plus grands mouvements de la première moitié du XXe siècle. “C’est le dernier mouvement du début du siècle à avoir les faveurs du marché, indique Simon Shaw, spécialiste pour l’art impressionniste et moderne chez Sotheby’s. Un bon nombre d’œuvres surréalistes sont encore en mains privées, ce qui encourage les velléités de collection, d’autant plus que les œuvres cubistes ou fauves se font rarissimes.” Depuis 2000, Sotheby’s et Christie’s entretiennent ce marché en dirigeant, si possible une fois l’an, des ventes spécialisées d’œuvres surréalistes avec des catalogues très didactiques. Pour Olivier Camus, directeur du département impressionniste et moderne de Christie’s à Londres, “le surréalisme est un domaine que les gens comprennent mieux quand il est présenté dans son environnement.”
René Magritte, à qui la galerie nationale du Jeu de paume consacre actuellement une grande rétrospective, la première en France depuis 1979, est également sur le devant de la scène commerciale. Le prix record de 2,1 millions d’euros pour La Condition humaine, un tableau historique de 1935 vendu chez Christie’s à Londres le 27 novembre 1989, a été neuf fois battu au cours des six dernières années. La vente de Christie’s du 25 juin 1996 à Londres a marqué le goût des acheteurs pour L’Empire des lumières (1948-1962), une composition dans laquelle un ciel bleu surplombe une ville plongée dans l’obscurité, un thème récurrent chez l’artiste : la toile a obtenu 3,5 millions d’euros. L’étape suivante s’est déroulée à New York le 19 novembre 1998 à l’occasion de la dispersion par Christie’s de la collection américaine Harry Torczyner, l’ami et avocat de Magritte. Trois records se sont enchaînés : 4,9 millions d’euros pour Le Fils de l’homme (1964), 5,2 millions d’euros pour Le Tombeau des lutteurs (1960) et 6,5 millions d’euros pour Les Valeurs personnelles (1952). La vente d’une autre version de L’Empire des lumières (1952), pour 11,6 millions d’euros, a pulvérisé ce dernier prix le 7 mai 2002 à New York chez Christie’s. Cette progression de 75 % en valeur classe désormais Magritte à un autre niveau de marché, parmi les plus grands maîtres du XXe siècle. “Ce grand format de provenance prestigieuse [collection Loïs et George de Menil] était plus beau que celui vendu en 1996, précise Olivier Camus. Le rendu de la lumière était particulièrement réussi et la peinture en surface était plus belle. Ces deux critères sont importants pour un amateur éclairé.”

Des remakes aux couleurs vives
Curieusement, cette série de records concerne des œuvres assez tardives datant des années 1950-1960. “À la fin de sa vie, Magritte reprend les mêmes sujets qu’il a traités dans les années 1930, à l’instar de L’Empire des lumières, mais les couleurs sont plus vives, l’effet est étonnant. Le marché adore ces peintures plus commerciales”, explique Simon Shaw. “Les collectionneurs privés s’arrachent ces tableaux tardifs spectaculaires autant que les musées friands de ‘peintures qui attirent les foules’”, ajoute Olivier Camus. Ainsi l’époustouflante huile sur toile Les Valeurs personnelles, de la collection Torczyner, a été emportée par le SFMoMA de San Francisco. Le spécialiste de Christie’s ajoute que “la hausse importante pour Magritte – comme pour Miró dont deux tableaux ont pour la première fois dépassé les 10 millions d’euros en 2001 –, confirme la réévaluation de la cote des grands surréalistes”. La cristallisation du marché pour les peintres surréalistes devrait se poursuivre si d’autres chefs-d’œuvre sortent. Les collectionneurs attendent par exemple qu’une toile majeure de Dalí apparaisse en vente publique. Le vieux record du 15 mai 1990 de 4 millions d’euros chez Christie’s à New York pour Assumpta Corpuscularia Lapislazulina pourrait alors facilement être battu. “Tanguy et Ernst, encore largement sous-évalués – leurs meilleurs prix plafonnent à 1,5 million d’euros –, devraient un jour ou l’autre atteindre une cote plus haute”, souligne Olivier Camus.
L’autre vedette de l’école belge, Paul Delvaux, n’échappe pas au phénomène ascensionnel, dans des proportions toutefois moindres que Magritte. Son iconographie fétiche se rapporte aux femmes nues souvent mises en situation dans des architectures dont les perspectives rappellent de Chirico. Jusqu’en 1998, le record pour Delvaux était détenu par Le Train bleu (1946), adjugé 1,5 million d’euros le 29 novembre 1988 à Londres chez Sotheby’s. Le Miroir (1936), un tableau d’une poésie merveilleuse qui s’est envolé à 4,7 millions d’euros le 8 décembre 1999, est à présent la meilleure enchère en date pour l’artiste. À l’inverse de Magritte, les gros prix des compositions de Delvaux sont toujours liés à la période historique de l’artiste, soit des œuvres datées entre 1936 et 1949.
Les œuvres sur papier surréalistes connaissent le même engouement. “Les petites gouaches de Magritte sont de petits bijoux très recherchés”, soutient Simon Shaw. Une composition de Magritte à la gouache intitulée Le Plagiat a été cédée pour 768 000 euros chez Sotheby’s le 8 mai 2002 à New York. Une autre composition très achevée et de grand format, La Sirène, signée Delvaux, a atteint 608 000 euros le 24 juin 2002 à Londres chez Sotheby’s. En revanche, il semblerait qu’il n’y a point de salut en dehors des grands peintres du surréalisme. Chez les Belges, à l’exception de Magritte et Delvaux, il n’y a pas d’artistes qui bénéficient une reconnaissance internationale. D’une part, l’interdisciplinarité du mouvement n’a pas aidé au développement de carrières qui sont restées furtives. Édouard Louis Théodore Mesens, compositeur, poète, mécène et collectionneur, et Marcel Mariën, écrivain touche-à-tout et ami de Magritte, ont réalisé quelques collages qui ont été adjugés pour 5 000 euros maximum dans des ventes secondaires, le plus souvent à Amsterdam. La fameuse “école belge”, de laquelle il est dit que Magritte était le chef de file, a quasiment disparu. Les quelques peintres qui la composaient ont été oubliés. “On ne les connaît pas vraiment et ils ne valent rien”, résume Olivier Camus. Citons Auguste Mambour, dont une Surrealistic Figure vendue 12 000 euros chez Christie’s à Amsterdam le 7 décembre 1994, reste un des meilleurs prix de l’artiste.
Lors de la vente “Surrealism : dreams and imagery” qui s’est tenue à Londres chez Sotheby’s le 5 février 2002, les amateurs ont pu découvrir une toile intitulée La Complexe Habitude datée de 1927 et signée Marc Eemans. L’œuvre a atteint le prix record de 16 300 euros. Simon Shaw avoue avoir “découvert l’artiste à l’occasion de cette vacation. Le sujet était très surréaliste et de la bonne période. Pour des images puissantes, il y a toujours des acheteurs même si Magritte demeure le centre de gravité “. Marc Eemans avait pourtant commencé sa carrière en même temps que Magritte. À l’époque, ses œuvres étaient même mieux cotées que celles de Magritte. Mais après la guerre, le “vilain petit canard” du mouvement surréaliste, au passé “collaborationniste”, n’a pas retrouvé sa gloire d’antan.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°164 du 7 février 2003, avec le titre suivant : L’envolée des surréalistes belges suit la tendance

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