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Le nouveau marché des reproductions numériques muséales

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 23 mars 2022 - 726 mots

Un marché de reproductions numériques d’œuvres de musée est en train de prendre forme.

Le Musée du Belvédère a découpé le Baiser de Klimt en 10 000 morceaux, vendus chacun 1850 euros. © Ouriel Morgensztern/Belvedere, Vienna
Le Musée du Belvédère a découpé Le Baiser de Klimt en 10 000 morceaux, vendus chacun 1850 euros.
© Ouriel Morgensztern / Belvedere, Vienna

Profitant de l’effervescence autour des NFT (ou « jetons non fongibles », en français), un nouveau marché est en train d’éclore : celui des reproductions numériques d’œuvres célèbres. Une version moderne des copies de tableaux, sauf que ce sont des images numériques accompagnées d’un certificat de propriété NFT leur conférant une unicité et une authenticité et donc de la valeur. Autre différence d’avec un poster, une lithographie ou une copie peinte de tableau, dont la valeur de revente est nulle, ces reproductions numériques d’œuvres sont non seulement chères à l’achat mais sont susceptibles d’être revendues sur des plateformes NFT spécialisées ou par des maisons de ventes.

L’inventivité des producteurs (appelons-les ainsi) est sans limite. En septembre 2021, le Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg a mis aux enchères les reproductions numériques de cinq chefs-d’œuvre de ses collections (en un seul exemplaire), parmi lesquels sa Madone et Enfant de Léonard de Vinci. Binance NFT, la plateforme qui a « miné » le NFT (enregistré le « smart contract » NFT et parfois le fichier sous-jacent dans la blockchain), affirme les avoir adjugés 440 000 dollars (371 000 €). L’information est invérifiable et on observe qu’ils ne figurent pas (encore) dans les NFT remis en vente.

À Londres, à la galerie Unit London, ce n’est pas un exemplaire mais neuf exemplaires de différentes reproductions certifiées de tableaux appartenant à des musées italiens qui sont exposés dans des écrans grand format : Le Portrait de musicien de Léonard (décidément !), Tête de femme de Modigliani… Pour la « modique » somme de 120 000 euros (le prix le plus bas) à 600 000 euros, l’acheteur se retrouve en possession d’une image numérique de l’œuvre, et d’un certificat NFT lui assurant qu’il est propriétaire de ce fichier, comme les huit autres potentiels acquéreurs ! Ici l’originalité de l’opération est que le producteur, en l’espèce l’entreprise Cinello, ne s’est pas contenté de vendre les œuvres sur son site mais il les expose dans une galerie. Quatre musées italiens, dont les Offices, se sont prêtés au jeu, alléchés par la commission de 50 % qu’ils vont encaisser sur les ventes. L’exposition court jusqu’à la mi-mars.

Hokusai au British : un chiffre d’affaires à 7 chiffres

À Vienne en Autriche, le Musée du Belvédère a découpé son célèbre Baiser de Klimt « en 10 000 morceaux » et les a vendus en février sur un site opéré par artèQ – rassurez-vous, c’est une reproduction numérique du tableau qui a été ainsi divisée. Chaque morceau, distribué aléatoirement et certifié par un NFT, est proposé au prix unique de 1 850 euros. Le musée affirme en avoir déjà vendu pour 3,2 millions d’euros.

En septembre 2021, une start-up française, LaCollection, s’est aussi lancée sur ce marché, signant une première collaboration avec le British Museum (Londres) dans laquelle sont mises en vente plusieurs centaines de gravures NFT d’Hokusai des collections du musée, en 2, 10, 100, 1 000 ou 10 000 (!) exemplaires. Là aussi, les prix donnent le tournis : la moins chère est à 500 euros (une sur 10 000), la plus chère à 150 000 euros (une série de deux). Jean-Sébastien Beaucamps, son P.-D.G. et fondateur, ne veut pas communiquer de résultats mais il affirme qu’à ce jour le chiffre d’affaires est à sept chiffres, soit entre 1 et 9 million(s) d’euros, et que « le British est content ». Il est persuadé que ce marché va exploser et que de nombreux musées vont se mettre à commercialiser des copies numériques de leurs œuvres. Il veut prendre ses concurrents de vitesse et vient de terminer une nouvelle levée de fonds de 10 millions de dollars qui va lui permettre d’embaucher 30 personnes pour passer à un effectif de 50 employés. La priorité est de recruter des développeurs pour offrir un espace de revente, et aussi de convaincre d’autres musées de signer. Il compte également se distinguer de ses concurrents en éditorialisant son site avec plus de contenus et en offrant des services « VIP » aux acheteurs afin de constituer un club pour ses collectionneurs.

Si tous les producteurs mettent en avant un nouveau moyen de collectionner l’art, susceptible d’attirer la jeune génération, les prix astronomiques pour des reproductions situent clairement ces « œuvres » dans la catégorie des produits d’investissement avec un risque inhérent à tout actif immatériel dont la valeur repose uniquement sur la confiance que les acheteurs veulent bien lui accorder. Et rien n’est plus versatile que la confiance.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Le nouveau marché des reproductions numériques muséales

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