Photographie - Ventes aux enchères

ENQUÊTE

Le marché des ventes publiques de photographies se consolide

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 23 novembre 2023 - 1091 mots

Depuis près de dix ans, le marché de la photographie, en particulier celui des tirages anciens, se contracte. Mais il reste actif.

Eugène Atget (1857-1927), Le Joueur d'orgue, Paris, 1898. © MET
Eugène Atget (1857-1927), Le Joueur d'orgue, Paris, 1898.
© MET

Monde. La photographie a acquis ses lettres de noblesse au cours du XXe siècle, mais c’est seulement à la fin des années 1970, quand les grandes maisons anglo-saxonnes commencent à l’intégrer dans leurs vacations, que son marché, en particulier celui des ventes publiques, va prendre son essor. En France, la première vente est inaugurée par Pierre Cornette de Saint Cyr en 1982. Nourri par la montée en puissance de galeries pionnières, d’expositions, de festivals et foires spécialisés – le salon Paris Photo est créé en 1997 –, le marché se développe rapidement. Avec la vente Jammes à Londres en 1999, les photographies, principalement du XIXe siècle, partent à des prix suffisamment hauts pour que la presse s’en empare. « En 1980, le produit mondial des ventes aux enchères de la photo se situait aux alentours de 5 millions de dollars ; en 2006, il atteint 144 millions », relève Florence Bourgeois, directrice de Paris Photo. En 2014, le marché culminait à 220 millions de dollars (selon Artprice). Mais depuis une dizaine d’années, la tendance générale est à la baisse [voir graphique] et les taux de vente sont passés de 80 % à 65-70 %. « Le marché s’est sensiblement contracté au cours des dix dernières années, de l’ordre d’un quart de sa valeur », confirme Jean Minguet, directeur du département d’économétrie d’Artprice.

Tableau : Le marché de la photo aux enchères entre 2008 et 2022. © Le Journal des Arts 2023
Le marché de la photo aux enchères entre 2008 et 2022.
© Le Journal des Arts 2023
Moins de chefs-d’œuvre à vendre

Comment expliquer cette tendance ? Tout d’abord, le marché de la photographie ancienne (de 1839 à 1900), longtemps très solide, s’est resserré, les chefs-d’œuvre du genre étant entrés dans les collections privées et publiques. « Quand un collectionneur a un tirage de qualité, il ne s’en sépare pas », souligne l’expert Christophe Goeury. De plus, « le marché intermédiaire ne fait plus les prix d’avant », note l’experte Charlotte Barthélemy.

On observe aussi une correction du marché. « En 1993, quand j’ai commencé, j’estimais les photographies d’Eugène Atget autour de 3 000 à 5 000 euros. Maintenant, je mets 800 à 1 000 euros parce qu’Atget a inondé le marché », indique Christophe Goeury. D’autre part, la raréfaction des tirages vintage, au profit des tirages postérieurs – bien moins appréciés –, n’est pas étrangère à cette contraction. D’après Florence Bourgeois, il n’y a pas de désamour pour le médium, « mais plutôt un repositionnement vers les photographies plus accessibles ». L’année 2022 a connu un record avec 24 000 lots vendus (données Artprice), soit le double de 2008, « mais concernant des œuvres à moindre coût, celles dépassant les 100 000 euros se faisant rares », constate la directrice.

Le développement des ventes en ligne a pourtant contribué à augmenter le nombre de photos vendues car, par ce canal, « nous pouvons proposer 300 lots », assure Charlotte Barthélemy, qui orchestre quatre à cinq ventes en ligne par an. « Ce sont peut-être des photos que nous n’aurions pas traitées il y a cinq ans et dont les produits de vente sont plus bas. »

Pour toutes ces raisons, les adjudications élevées se sont espacées, réduisant le chiffre d’affaires global. Toutefois, quand un lot rare apparaît, « il se vend environ 30 % plus cher qu’avant », affirme l’experte.

Un marché plus sélectif

Après le boom de la fin des années 1990 qui a duré jusqu’au début des années 2010, le marché mondial est, depuis une décennie, « revenu à une certaine forme de stabilité ; on peut dire qu’il a atteint une maturité », estime l’expert Antoine Romand. « C’est un marché qui est devenu plus réfléchi », ajoute Christophe Goeury. En 2022, il a atteint 151,6 millions de dollars dans le monde (12 M€ en France, selon les chiffres du Conseil des ventes), mais il reste étroit, ne représentant que 3,4 % des adjudications (6 % du secteur « art et objets de collection » en France).

Structurellement, il est toujours dominé par l’éternel duopole Christie’s et Sotheby’s, essentiellement à New York. « En Europe, c’est désormais Paris, et non plus Londres depuis le Brexit, où beaucoup de clients allemands, italiens, belges viennent vendre », pointe Charlotte Barthélemy. Outre Christie’s et Sotheby’s, trois opérateurs sont très actifs : Millon, Yann Le Mouël et Ader.

Dans le même temps, l’intérêt s’est déplacé. La photo XIXe est moins en vogue tandis que les années 1930 sont très recherchées, tout comme la photographie humaniste, celle de Willy Ronis, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau… Les années 1970, les tirages argentiques, les photos signées des Américains, la photo anonyme marchent fort. « La nouveauté se vend bien et plein de photographes des années 1950 à 1970 sont à découvrir », souligne Christophe Goeury. « Il y a une appétence pour les photographes d’après-guerre et contemporains comme Richard Avedon, Robert Mapplethorpe, Cindy Sherman… », constate Élodie Morel-Bazin, directrice Europe du département photo chez Chistie’s. Quant à la photo très contemporaine, elle reste le domaine réservé des galeries, les ventes aux enchères s’intéressant principalement aux œuvres d’artistes confirmés et cotés.

Des collectionneurs qui se renouvellent

En parallèle, un renouvellement des collectionneurs s’est opéré. « En quinze ans, le marché s’est considérablement démocratisé. Nous sommes passés d’un marché de connaisseurs à un marché plus grand public », observe Antoine Romand. « Il y a environ une trentaine de nouveaux collectionneurs par vente, c’est le signe d’un marché en bonne forme », estime Christophe Goeury. « Et ils ont tous les âges, certains ont même 22 ans ! », ajoute Charlotte Barthélemy.

Pour que le marché reste actif, la sélection doit cependant être draconienne. « L’image à vendre doit avoir un intérêt photographique, sinon elle va rester sur le carreau et cela va nuire au marché », estime Christophe Goeury. En tout cas, « les œuvres de très grande qualité et de grande rareté (un élément fondamental pour un multiple) continueront logiquement à battre des records », prévoit Antoine Romand. C’est le cas du Violon d’Ingres, de Man Ray, devenue la photographie la plus chère du monde en 2022 (vendue 12,4 M$ [11,9 M€] par Christie’s).

Mais pour que les prix s’envolent, le nom du photographe ne suffit pas, « même si un très beau tirage de Brassaï, Man Ray ou [Edward] Steichen voit ses prix augmenter », indique Charlotte Barthélemy. Il faut que ce soit la bonne image, qu’elle soit bien conservée… Si toutes les conditions sont réunies, et si en plus l’image n’a pas été vue sur le marché depuis un moment, le prix est à la hausse par rapport à dix ans en arrière. Tel était le cas de l’Album d’Alfred Coulon vendu 270 000 euros au marteau le 28 septembre chez Villanfray Pommery (Paris) : en bon état, il était resté dans la famille du photographe qui évoluait dans l’entourage des primitifs de la photo.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Le marché des ventes publiques de photographies se consolide

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