Design

Faire chaise de tout bois

Le marché Dauphine rend hommage aux créations de Thonet

Par Valentine Buvat · Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2001 - 820 mots

SAINT-OUEN

Patrick Ober, spécialiste en mobilier de bois courbé, rend hommage au père du mobilier en série, Michael Thonet. En rassemblant plus de cinquante chaises, il propose un panorama presque exhaustif d’une production étonnante, s’attachant à rendre compte de la diversité des techniques et des modèles. Si le propos ne manque pas d’intérêt et les objets sont de qualité, leur présentation laisse perplexe. Les œuvres sont suspendues à la verrière de la Fontaine du marché Dauphine et, à force d’originalité, la visite d’une exposition qui aurait mérité un espace plus approprié, est rendue difficile et déstabilisante.

PARIS - Thonet a connu la célébrité grâce à sa fameuse chaise de bistrot n° 14, créée en 1859, qui a rencontré un succès sans précédent dans l’histoire du siège avec plus de 30 millions de pièces vendues avant la Première Guerre mondiale. Cet artisan ébéniste viennois a présenté en 1851, à l’Exposition universelle, les résultats de vingt ans de recherches et de découvertes sur les meubles en bois courbés. Ses prouesses, alors saluées par la médaille de bronze, méritent d’être ici plus largement expliquées. La technique du bois courbé avait été élaborée quelque cinquante ans avant que Michael Thonet (1796-1871) ne vienne la perfectionner au milieu du XIXe siècle. Le bois utilisé était presque toujours du hêtre, matériau de densité moyenne, mais qui est dur et résistant. L’essence était sciée en long, dans le sens de la croissance, puis gorgée d’humidité par l’action de vapeur d’eau très chaude qui dissolvait son huile et sa sève. Les fibres se réalignaient alors plus facilement sous la pression du courbage. L’aspect du bois se modifiait considérablement lors de sa compression : sur la face intérieure de la courbe, le bois frisait, tandis que la face extérieure qui s’étirait avait tendance à se fendre. Thonet a résolu ce problème en appliquant sur la face extérieure de la courbe une lamelle de métal fixée à chaque extrémité de la pièce de bois avant de la courber. Le bois se contractait dans la courbe et échappait au fatal fendillement. Les pièces étaient alors séchées sur des formes en fonte, puis par ponçage et polissage conduites à leurs formes définitives. Les meubles étaient le plus souvent assemblés au moyen de vis, puis vernis, teints ou laqués afin d’imiter d’autres essences. Cette technique signe le début du meuble en série puisqu’elle permettait, par l’usage des mêmes moules, de produire un grand nombre d’objets similaires.

Une production inventive
Thonet est le père de nombreuses formes nouvelles dont le rocking-chair, ancêtre des célèbres fauteuils à bascule. Le modèle qu’il crée en 1860, tout en courbes et volutes, donne une fonction nouvelle aux lignes arrondies d’ordinaire appliquées au mobilier classique. Un exemplaire est présenté dans l’exposition du marché Dauphine, et proposé au prix de 5 800 francs. Sans cesse à la recherche de nouvelles formes et de nouveaux assemblages, la fabrique Thonet présente en 1915 un catalogue de plus de 1 400 modèles différents. Chaque chaise, guéridon ou fauteuil doit allier élégance, légèreté et maniabilité. Ce cahier des charges consciencieux permet de mieux comprendre le succès populaire sans précédent des établissements Thonet. La chaise n° 4, rebaptisée Chaise Daum, porte le nom de la célèbre propriétaire d’une brasserie de Vienne, qui avait commandé 200 exemplaires du modèle. L’un d’eux est exposé au marché Dauphine et vendu 2 500 francs. Parmi les autres pièces importantes présentées, citons la chaise n° 38 en forme de cœur – l’un des tout premiers modèles où le dossier comme l’assise prennent une forme de cœur – qui n’a été produite que pendant un an et demi. Deux exemplaires de la n° 73 bis, chaise à trois pieds, modèle qui n’a été fabriqué aux alentours de 1885 que pendant trois ans, sont suspendus parmi les cinquante-deux autres chaises. Un prie-Dieu réalisé entre 1875 et 1880 étonne également : il allie une fonction austère à la légèreté de formes courbes, faites d’assemblages à mi-bois laqué noir.

En 1869, la firme Thonet perd son brevet exclusif de fabricant de meubles en bois massif courbé. Dès lors, plus de 160 concurrents s’établissent à travers l’Europe, parmi lesquels trois noms principaux doivent être retenus, qui viennent au travers d’objets compléter le propos de l’exposition : Jacob & Joseph Kohn, les établissements Fischel et le groupe Mundus qui, en 1910, s’associe à J&J Kohn, avant d’être rejoints en 1924 par la firme Thonet.

À travers cinquante-cinq chaises, ainsi que d’autres éléments de mobilier, réunis depuis plus de sept ans, Patrick Ober a voulu donner à voir la grande diversité et l’inventivité de ces productions désormais disparues. La plupart des chaises sont proposées à la vente dans une gamme de prix moyens allant de 2 000 à 3 000 francs.

L’ART DE THONET, MAÎTRE DES COURBES ET VOLUTES, DE 1850 À 1900, jusqu’au 31 décembre, marché Dauphine, Puces de Paris-Saint-Ouen, 132-140 rue des Rosiers, Saint-Ouen, exposition gratuite ouverte tous les week-ends et lundi de 9h30 à 18h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : Faire chaise de tout bois

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