Fiscalité

Le Covid affecte (encore) peu la fiscalité du marché de l’art

Par Lukasz Stankiewicz · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2021 - 2674 mots

MONDE

Pour l’heure, les États préfèrent dépenser sans compter pour soutenir leur économie durement frappée par l’épidémie plutôt que de manier le levier fiscal. Mais quelques signaux annoncent un possible relèvement, dans le monde, de l’impôt sur les sociétés, dont les marchands d’art. Le cadre fiscal post-Brexit commence à prendre forme.

Marinus van Reymerswaele (1490-1546), Le changeur de monnaie et sa femme, 1539, huile sur panneau de bois, 83 x 97 cm, collection Musée du Prado
Marinus van Reymerswaele (1490-1546), Le changeur de monnaie et sa femme, 1539, huile sur panneau de bois, 83 x 97 cm, collection Musée du Prado
Photo Wikimedia

La triste année 2020 restera assurément dans les annales. L’année d’une pandémie qui n’en finit pas. Mais aussi l’année de la concrétisation du Brexit et de l’élection présidentielle aux États-Unis. Si ces événements sont susceptibles de provoquer de grands bouleversements fiscaux à moyen terme, l’année 2020 a, paradoxalement, été étonnamment mince, mesures temporaires mises à part, en réformes fiscales d’ampleur.

La réponse à la crise économique

Comme signalé l’année dernière, depuis le mois de mars 2020, les pouvoirs publics des grandes économies ont mobilisé l’arme financière dans des proportions inédites pour contrer les effets de la crise économique. Sur le plan monétaire, les banques centrales inondent toujours l’économie des liquidités permettant de couvrir le besoin de financement gigantesque des États, et uniquement en France, engagés dans le « quoi qu’il en coûte » [selon les termes mêmes du président Macron]. Sur le plan budgétaire, face à l’augmentation des dépenses et la contraction des recettes, les États laissent filer les déficits records. Ainsi, pour 2020, en France, le déficit public a été de 9,2 % du PIB alors que le rapport de la dette publique au PIB a bondi de 100 % à 115,7 % en un an.

Du côté des dépenses, en France, les trois mécanismes de soutien aux entreprises, mis en place en urgence en mars 2020 fonctionnent toujours et ont dû être perfectionnés à mesure que la crise sanitaire perdurait. Le premier, les prêts garantis par l’État, ne provoque certes pas de dépenses immédiates. Les deux autres creusent le déficit : il s’agit du financement du chômage partiel et du fonds de solidarité pour les entreprises. Au gré des confinements successifs, ce dernier a été nettement renforcé par rapport à son cadre initial, limité aux très petites entreprises. Sur le plan macro-économique, l’ampleur du soutien public est spectaculaire. En 2020, on a enregistré le plus faible nombre de défaillances d’entreprises depuis 30 ans alors que le pouvoir d’achat des ménages a simplement stagné au lieu de s’effondrer en suivant le cycle économique.

Du côté des recettes, la principale mesure fiscale prise par les États, dont la France, consistait, dans une logique keynésienne de « stabilisateurs automatiques », à la fois l’augmentation des dépenses et la baisse des rentrées d’impôt, résultant de la récession économique. Des mesures de report et d’annulation des dettes fiscales ont également été prises. En France, les pouvoirs publics ont commencé prudemment par des mesures de report des échéances au titre d’impôts directs – à l’exclusion donc, notamment, de la TVA – et des charges sociales, mais ont fini par adopter, au second semestre, des mesures d’exonération temporaire de charges sociales pour certaines catégories d’entreprises (dont les galeries d’art et les artistes-auteurs).

Si les réformes ont été rares en 2020, on note cependant une baisse importante de la fiscalité locale pesant sur les entreprises en France [voir page 19], qui s’ajoute au maintien des récentes baisses d’impôts (impôt sur les sociétés, taxe d’habitation sur les résidences principales). Certains États ont également pris des mesures temporaires, comme une baisse à 16 % et à 5 % des taux de TVA en Allemagne au second semestre 2020, qui peut être lue tant comme une mesure de soutien à la consommation qu’aux marges des entreprises, car rares sont celles qui baissent les prix en cas de baisse des taux de TVA. Les États-Unis, la Belgique ou la France ont également renforcé temporairement l’attractivité des dispositifs de mécénat.

Si les États se sont globalement bien gardés d’alourdir la fiscalité en cette période chahutée, c’est à l’exception de l’Espagne, qui a augmenté tant l’impôt sur la fortune que sur les revenus des contribuables les plus aisés, et de la Russie qui a mis fin, mais en douceur, à sa « flat tax » sur le revenu avec désormais une tranche marginale à… 15 %. Par ailleurs, l’impôt sur les sociétés peut prochainement augmenter en Grande-Bretagne et aux États-Unis, mais partant de niveaux inférieurs à la moyenne actuelle de l’OCDE (23,2 % en 2020 contre 32,2 % en 2000). Nous verrons rapidement si ces hausses, ciblant les foyers aisés et les entreprises, sont isolées ou précurseurs d’un monde d’après le « quoi qu’il en coûte ».

Fiscalité du patrimoine des particuliers

Seules la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent encore une imposition annuelle de la fortune globale. Fin 2020, l’Espagne a augmenté le taux de la tranche marginale de l’impôt sur la fortune de 2,5 % à 3,5 % (fortune nette au-delà de 10,7 M€). Cependant, il s’agit d’un cadre maximal fixé par l’État aux communautés autonomes, qui bénéficient des recettes de cet impôt et peuvent en aménager les règles. Ainsi, Madrid ne lève pas d’impôt sur la fortune. L’impôt sur la fortune espagnol a également été pérennisé car, depuis 2011, année de sa réintroduction, il devait être prorogé chaque année.

Si la question de l’impôt sur la fortune est désormais bien installée dans le débat politique américain, on n’observe pas, en fiscalité comparée, de mouvement plus large en faveur d’une réintroduction d’imposition annuelle globale de la fortune. En revanche, les États sont de plus nombreux à introduire des formes d’imposition annuelle d’un composant de la fortune. Ainsi, rappelons qu’en France l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été remplacé, dès 2018, par un impôt limité à la fortune immobilière. L’Italie impose désormais la valeur des biens immobiliers et actifs financiers détenus hors d’Italie, et la Belgique la valeur des titres financiers inscrits dans un compte-titres.

La fiscalité successorale française, qui ne prévoit pas d’exonération pour les œuvres d’art, figure toujours parmi les plus lourdes notamment en ligne directe, avec un taux marginal de 45 % et des abattements à la base d’un montant fortement réduit en 2012 et non revalorisé depuis (100 000 €). La fiscalité successorale varie fortement entre les États ; un nombre important d’entre eux ne l’applique pas du tout ou en tout cas pas en ligne directe (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, Russie, certains cantons suisses…) alors que d’autres États, comme l’Italie, pratiquent des taux très modestes (Italie : 4 % ou 8 %). Dans certains États, les taux d’imposition, du moins en ligne directe, s’approchent des taux français mais, généralement, c’est sous réserve d’abattements plus généreux qui permettent d’exonérer une part importante des successions (Royaume-Uni : 325 000 £ ; Allemagne : 400 000 €). Rappelons qu’en 2017 les États-Unis ont doublé l’abattement applicable sur la masse successorale avant partage, qui s’établit désormais à 11,7 M$. Plus rarement, quelques législations offrent un régime d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art (Espagne, Allemagne, Italie).

Fiscalité des revenus des particuliers

La charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste, en comparaison internationale, élevée mais pas forcément exceptionnelle, plusieurs États atteignant des niveaux assez comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…). La France se singularise ici surtout par son millefeuille fiscal avec pas moins de trois prélèvements fiscaux sur les revenus à vocation générale qui s’ajoutent aux cotisations sociales frappant les revenus d’activité : le vieil « impôt sur le revenu » progressif, indolore pour la plupart des contribuables car concentré sur les 20 % des foyers avec les revenus les plus élevés, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, créée en 2011, et la contribution sociale généralisée (CSG). Ensemble avec d’autres « prélèvements sociaux » calqués sur elle, la CSG, prélevée à des taux proportionnels, est devenue le véritable impôt universel minimum sur le revenu, dont on ne trouve pas l’équivalent dans d’autres États. Ailleurs, les revenus sont généralement frappés par un seul impôt sur le revenu, souvent plus lourd que son équivalent français (la Belgique en offre une excellente illustration), auquel s’ajoutent les cotisations sociales. Le cas type est donc celui avec deux prélèvements sociofiscaux et non pas quatre.

Parmi les différents types de revenu imposable l’un intéresse tout particulièrement les collectionneurs, à savoir les plus-values de cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers. Sur ce point, la France offre au contribuable un choix entre une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente et une imposition proportionnelle de la plus-value de cession à un taux de 36,2 %, comprenant l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, mais sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention. Cette faculté d’arbitrage représente un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole (où le taux marginal d’imposition des plus-values vient d’être augmenté de trois points), américaine ou britannique mais, de toute façon, ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Singapour, Hongkong…) ou une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…).

En 2020, le régime de la taxe forfaitaire a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel, favorable au contribuable (décision n° 2020-868 QPC du 27 novembre). Le Conseil a jugé contraire au principe d’égalité l’exclusion du champ de la taxe forfaitaire des cessions d’objets précieux se trouvant, lors de la cession, hors du territoire de l’Union européenne (UE). En effet, avant la censure, la taxe forfaitaire n’était applicable qu’en cas de cession réalisée en France ou dans un État membre de l’UE. Dans le cas d’une cession réalisée dans un État tiers, le gain était donc nécessairement imposable à l’impôt sur le revenu selon le régime des plus-values (on notera qu’une partie de la doctrine avançait une théorie osée, rejetée par cette même décision, qu’aucun impôt n’était applicable). Désormais, le contribuable résident de France pourra arbitrer entre la taxe forfaitaire et l’imposition de la plus-value, même lorsque l’œuvre d’art se trouve, par exemple, en Suisse ou au… Royaume-Uni, au moment de la cession.

Fiscalité directe des entreprises

La baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, une donnée importante pour les marges des intermédiaires du marché de l’art, se poursuit en France, même si sa trajectoire fixée par la loi de finances pour 2018 a été ralentie par deux interventions successives du législateur en 2019. Rappelons que le taux doit être abaissé à 25 % en 2022 dans le but de rapprocher le taux français de la moyenne internationale. Nous y sommes presque car les bénéfices de 2021 seront, sauf modification de fin d’année, imposés à 26,5 % en principe, et à 27,5 % pour les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros.

Ainsi, pour la première fois, la France, même en intégrant la surtaxe sociale de 3,3 % assise sur le montant de l’impôt sur les sociétés (IS), ne fait plus partie du groupe d’États, couverts par cette étude, qui affiche encore un taux supérieur ou égal à 30 % (il ne reste que l’Allemagne…). Rappelons qu’aux États-Unis, la réforme fiscale de 2017 a drastiquement abaissé le taux de l’impôt fédéral sur les sociétés de 35 % à 21 %, confirmant et amplifiant la tendance mondiale à la baisse observée depuis maintenant plus de 20 ans. Pour l’illustrer au cours de la période récente, on peut citer l’exemple de la Belgique (baisse de 33,99 % à 25 % entre 2017 et 2020), de l’Italie (baisse de 27,5 % à 24 % en 2017), de l’Espagne (baisse de 30 % à 25 % entre 2014 et 2016), du Luxembourg (baisse de 26,01 %, en 2018, à 24,94 % en 2019) ou du Royaume-Uni (19 % depuis le 1er avril 2017 contre 28 % en 2010). Les niveaux d’imposition européens rejoignent ainsi ceux constatés dans les pays asiatiques (25 % en Chine, de 17 % à Singapour, et de 16,5 % à Hongkong).

L’autre bonne nouvelle fiscale pour les entreprises françaises tient à la baisse d’un impôt local, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont on ne trouve d’équivalent qu’en Italie (IRAP). La charge de la CVAE baisse de moitié avec la réduction de 1,5 % à 0,75 % de son taux frappant la valeur ajoutée, qui est un solde intermédiaire entre le chiffre d’affaires et le bénéfice. Toutes les entreprises non exonérées de cotisation foncière des entreprises et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 500 000 euros bénéficieront de cette réforme (les autres ne paient pas la CVAE).

Cependant, la course au moins-disant en matière d’IS touche peut-être le fond. Aux États-Unis, l’administration Biden a annoncé vouloir augmenter l’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 % et hausser de 10,5 % à 21 % l’imposition minimale mondiale des plus grands groupes américains instaurés sous l’administration Trump (dispositif dit « GILTI »). Au Royaume-Uni, la loi de finances pour 2021 prévoit une augmentation de l’impôt sur les sociétés à 25 % à compter du 1er avril 2023 contre 19 % actuellement. Rappelons qu’avant même la crise actuelle, le Royaume-Uni est revenu sur la baisse de 19 % à 17 %, qui devait prendre effet au 1er avril 2020. Dans deux ans, les taux britannique et français devront être, tous deux, égaux à 25 %. Les craintes post-Brexit de l’émergence d’un « Singapour sur la Tamise » ne sont donc, pour le moment, pas fondées.

TVA, taxes douanières et Brexit

D’une manière plus générale, les règles françaises en matière de TVA restent assez favorables aux acteurs du marché de l’art, du moins en comparaison européenne. Ainsi, les deux taux spécifiques au marché de l’art français (5,5 % sur l’importation des œuvres d’art et les ventes directes des artistes) sont parmi les plus bas de l’Union européenne, ce à quoi s’ajoute la possibilité pour les intermédiaires d’asseoir, sous certaines conditions, la TVA (au taux de 20 %) sur une marge forfaitaire de 30 % du prix de vente. Évidemment, pour favorables qu’elles soient, ces règles ne résistent pas à la comparaison avec Hongkong (pas de TVA du tout) ou avec un port franc (Genève, Singapour…).

Nous connaissons enfin le régime du Brexit. Depuis le 1er février 2020, le Royaume-Uni n’est plus membre de l’Union européenne mais l’accord de sortie a prévu une période de transition, qui s’est achevée le 31 décembre 2020, pendant laquelle le Royaume-Uni – bien que devenu formellement un État tiers – a continué à participer au marché intérieur et à l’union douanière. C’est désormais fini même si un deal a pu être trouvé. Le très volumineux accord de commerce et de coopération signé in extremis en décembre 2020 écarte bien le Royaume-Uni tant du marché commun que de l’Union douanière. S’agissant du commerce de marchandises, un régime particulier s’applique cependant à l’Irlande du Nord qui est traitée comme si elle continuait à faire partie du territoire douanier de l’UE. Il en résulte que, au regard de la TVA, le Royaume-Uni, réduit à la Grande-Bretagne, est un État tiers relevant du régime des opérations extracommunautaires (importations et exportations) et des formalités douanières associées. Conséquence concrète, une importation d’œuvres d’art de Londres à Paris est dès lors passible de la TVA française à l’importation de 5,5 %. Les choses sont donc très simples en droit, à savoir la mise en œuvre pure et simple du régime de TVA applicable aux États tiers, mais plus complexes en pratique puisqu’il faut apprendre à gérer des formalités administratives nouvelles. L’accord de commerce et de coopération établit en revanche une zone de libre-échange avec le Royaume-Uni ce qui engage les parties à ne pas instaurer des droits de douane dans le futur. Nous voilà rassurés, même si le risque de voir surgir un jour des droits de douane frappant les œuvres d’art entre la Grande-Bretagne et l’UE n’était de toute façon pas sérieux.

Droit de suite

L’accord de commerce et de coopération intéresse également le marché de l’art en ce qu’il oblige, en son article IP.13, les parties, en pratique surtout le Royaume-Uni, au maintien d’un régime de droit de suite. Ce sujet est évidemment important du point de vue d’égalité concurrentielle entre les marchés. On notera cependant que le texte est plutôt vague et n’oblige pas le Royaume-Uni à continuer à s’aligner sur le mécanisme précis de la directive 2001/84/CE. Pour l’heure, cependant, rien ne change.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°566 du 30 avril 2021, avec le titre suivant : Le Covid affecte (encore) peu la fiscalité du marché de l’art

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