Foire & Salon - Ventes aux enchères

L’art urbain a-t-il moins la cote ?

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 13 avril 2023 - 1098 mots

Du côté des institutions, des collectivités et du public, l’engouement pour l’art urbain ne se tarit pas. Sur le marché, en revanche, on décèle les signes d’un essoufflement.

Collectionner -  Après une décennie d’euphorie, le marché de l’art urbain connaîtrait-il l’amorce d’un reflux ? Portée par ses succès en salles de ventes, dopée par l’inflation du nombre de galeries spécialisées, cette nébuleuse artistique née dans la rue avait pourtant fini par y bénéficier d’un début de reconnaissance. Certains artistes estampillés « street art », dont Kaws, Banksy et Shepard Fairey, avaient même réussi à sortir de cette niche pour se hisser parmi les meilleures cotes sur la scène internationale. Selon les données d’Artprice, ces trois poids lourds du street art enregistrent pourtant en 2022 une baisse de leurs ventes sur le second marché. « L’investissement des collectionneurs est plus raisonné que par le passé, explique Yannick Boesso, fondateur et directeur artistique d’Urban Art Fair, dont la septième édition réunira 36 exposants du 13 au 16 avril prochain, au Carreau du Temple. La plupart d’entre eux suivent les artistes qui ont le vent en poupe et ont des expositions dans les galeries et en institution. » Après s’être emballés pour toute œuvre labellisée « art urbain », les acquéreurs seraient devenus plus frileux. Ils confortent désormais les « valeurs sûres », soit une poignée de « stars » et de quelques « pionniers » du graffiti et de l’art urbain. Comme pour l’ensemble du marché de l’art, la pandémie aurait aussi joué un rôle décisif dans leur comportement. « Les acquéreurs se déplacent moins dans les ventes aux enchères, alors qu’ils sont très actifs en ligne », note Arnaud Oliveux, commissaire-priseur chez Artcurial. Yannick Boesso confirme cette tendance en égrenant les chiffres de fréquentation d’Urban Art Fair : de 13 000 à 14 000 visiteurs l’an passé et la précédente, contre 20 000 pour la première édition en 2016. Pour enrayer cette baisse, la foire s’est dotée cette année d’un comité de sélection composé de professionnels du milieu. Elle mise aussi sur les solo shows et les œuvres in situ. Ainsi, la façade du Carreau du Temple sera peinte par Lek & Sowat, qui signent aussi l’affiche. Objectif : aiguiser le regard des collectionneurs et donner à voir la diversité des pratiques. Même recherche de qualité chez Artcurial, qui lance « Urbanprojects », avec pour ambition de faire découvrir plus finement le travail des artistes.

Questions à… Arnaud Oliveux

Directeur associé d’Artcurial et commissaire-priseur

Comment le marché évolue-t-il ?

Ce secteur de niche est aujourd’hui considéré comme une vraie branche de l’art contemporain. Il est en train de se resserrer autour des artistes les mieux positionnés sur le marché, qui font l’objet d’expositions régulières en galerie et dans les institutions. Les autres artistes ayant un parcours les mettant moins sous les projecteurs sont dans une position plus délicate.

Comment l’expliquez-vous ?

La typologie des acheteurs a changé. Ils sont plus jeunes, assez frénétiques et ont gagné de l’argent facilement avec les cryptomonnaies ou la revente de sneakers. Très peu d’acheteurs sont des collectionneurs qui achètent à l’œil, et non en fonction des diktats du marché… Cette tendance spéculative n’est pas propre au street art : on la constate par exemple dans l’art africain contemporain ou sur la jeune scène de l’art contemporain international.

Que développez-vous pour infléchir cette tendance ?

Les gens se posent beaucoup de questions sur l’avenir de ce marché, et c’est à nous de continuer à montrer ce qu’incarne l’art urbain, son sens, ses références. C’est dans cet objectif que je lance « Urbanprojects », une série de ventes aux enchères thématiques dont le premier épisode sera dédié à l’art de Shepard Fairey, pas seulement les affiches, mais tout l’œuvre de SF, des originaux… Il s’agit de remettre la question du sens au cœur du marché et de permettre aux acheteurs de découvrir les artistes d’une façon différente, dans le cadre d’une vente.

8 000 €

1. Lek & sowat -  Bien qu’ils œuvrent en duo depuis une dizaine d’années au sein des institutions, Lek & Sowat poursuivent pour l’essentiel sur le marché de l’art des carrières parallèles, n’ayant eu que rarement l’opportunité d’être exposés ensemble. Lors de la prochaine Urban Art Fair, la Galerie Joël Knafo leur offre enfin l’occasion d’un solo show. Non contents de signer l’affiche de l’événement et de peindre la façade du Carreau du Temple, les deux artistes y présentent une série de toiles inspirées par le film réalisé à l’issue d’une commande du Centre Georges Pompidou, en 2019. Hope, c’est son titre, sera diffusé pour la première fois lors de la foire.


90 000 € 

2. Richard Hambleton -  Homme de l’ombre malgré ses débuts prometteurs dans les années 1980, Richard Hambleton a bénéficié ces dernières années du regain d’intérêt pour la scène urbaine. Peu après son décès en 2017, la sortie d’un documentaire, d’un livre et l’organisation d’un solo show organisé par Andy Valmorbida & Vladimir Reston Roitfield lui ont assuré une stature de « pionnier du street art », avec un effet notable sur sa cote. En 2018, une toile de 1983, As the World Burns, était adjugée lors d’une vente chez Artcurial pour la somme record de 474 000 euros. Quatre ans plus tard, Black Forest n’atteignait pourtant « que » 90 000 euros chez Tajan. « Les prix de cet artiste sont montés vite, peut-être un peu trop, note Julie Ralli, directrice du département art contemporain chez Tajan. Mais je pense qu’Hambleton n’est pas encore à sa juste valeur. »


65 600 € 

3. Invader -  Parmi les valeurs sûres du street art, Invader tient en France le haut du pavé. Bien qu’elle ne soit pas un alias ayant sa réplique dans l’espace urbain, cette mosaïque de dimensions modestes est caractéristique de son œuvre, qui croise pop culture et invasion ludique. Elle a été acquise au-delà de son estimation (30 000/40 000 euros) le 14 décembre 2022, lors de la vente de la collection Roméo Sarfati, organisée par Artcurial. C’est un acquéreur asiatique qui a fait la meilleure enchère, preuve s’il en était du succès rencontré à l’international par l’artiste français.


58 000 € 

4. Hopare -  Du graffiti qui fut sa première école, Alexandre Monteiro, alias Hopare, s’est émancipé avec succès : son travail est désormais tendu entre toiles, multiples, bronzes, fresques et installations dans l’espace public. « C’est un artiste qui vient du monde urbain, mais il a sa place dans le monde de l’art contemporain, assure Stéphanie Dendura, qui le soutient au sein de l’Agence DS. Il arrive à gommer les frontières tout en gardant son ADN. » Avec Azo, il mixe peinture à l’huile, pastel et crayon pour signer un portrait nerveux et virtuose, emblématique de son évolution vers un style plus épuré.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : L’art urbain a-t-il moins la cote ?

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