Collectionneurs

Jean-Gabriel de Bueil et Stanislas Ract-Madoux : « Nous souhaitons raconter une histoire »

Par Marie Potard · L'ŒIL

Le 26 septembre 2023 - 1097 mots

Depuis sept ans, ces deux amis d’enfance ont mis en commun leurs collections respectives. Résultat : un ensemble qui va du XIXe siècle à l’art contemporain.

Comment êtes-vous devenus collectionneurs ?

Jean-gabriel de bueil -  J’ai grandi dans une famille où il y a toujours eu des œuvres d’art. Cela a dû exercer mon œil et développer ma sensibilité. J’ai commencé à m’intéresser aux livres – mon père était bibliophile et comme je l’ai perdu jeune, cela a été pour moi l’occasion de recréer un lien. Cette passion m’a amené à racheter des bibliothèques entières, dans lesquelles se trouvent toujours des cartons de dessins, des photos, des gravures...…De fil en aiguille, je me suis intéressé aux tableaux. J’ai un intérêt particulier pour la période allant du XIXe siècle au surréalisme. Ma première acquisition fut un collage subversif de Jacques Prévert, Saint Paul travesti.

stanislas ract-madoux -  Mon environnement familial était également très sensible à l’art avec, dans mon enfance, un père galeriste que je venais voir le week-end. J’ai toujours eu le goût de collectionner les timbres, les affiches, etc., puis j’ai commencé à acheter des œuvres il y a une vingtaine d’années, avec un prisme allant de l’entre-deux-guerres jusqu’au très contemporain axé sur l’abstraction. Mon premier coup de cœur fut une œuvre de 1963 de Geneviève Asse.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

srm -  Nous nous connaissons depuis l’enfance, mais nous nous étions perdus de vue à l’aube de nos 20 ans. Après une première expérience professionnelle dans la finance, je voulais consacrer la seconde à l’art, ma passion. Je me suis donc inscrit à l’École du Louvre. Un jour de 2016, je croise Jean-Gabriel devant le restaurant Chez Georges, rue du Mail. Deux jours plus tard, nous déjeunions ensemble et le mardi suivant, nous achetions au Salon du dessin notre première œuvre commune : Paysage de Saint-Tropez au crépuscule, une petite huile fauve de Matisse de 1904 (prêtée actuellement à la Fondation Gianadda en Suisse). Les planètes étaient alignées.

Pourquoi avez-vous pris la décision de Rassembler vos deux collections ?

jgb -  En tant que collectionneur, j’avais pressenti le danger de la certitude. Seul, on s’enferme dans son obsession et on ne progresse plus. Je cherchais un camarade de jeu pour confronter mes choix. Nous avons donc décidé, après ce premier achat, de mutualiser nos collections, en réunissant les pièces Qui Nous plaisaient à tous les deux.
srm - Éducation, racines, valeurs communes. Depuis, nous avons cherché à théoriser notre démarche et nous nous sommes rendu compte que Jean-Gabriel cherchait la modernité dans le classique et moi, une certaine forme de classicisme dans le contemporain.

Pouvez-vous parler de cette collection ?

srm -  Le fil rouge en étant donc « la modernité dans le classique et le classique dans la modernité », elle est composée d’environ 300 œuvres (peintures, sculptures et dessins) allant du début du XIXe jusqu’à nos jours. Elle est en perpétuelle évolution puisque, chaque année, nous en revendons environ 10 % pour alimenter notre fonds d’acquisition. C’est une collection plutôt confidentielle, car aucun catalogue n’existe. Seules les œuvres exposées et Publiées sont visibles sur notre site.
jgb -  Notre mode de fonctionnement, basé sur l’altérité et la confrontation, est assez inédit, car nous ne sommes pas un couple et n’avons pas de liens familiaux. Par ailleurs, notre collection est très éclectique et non cloisonnée.

Comment fonctionnez-vous à deux ?

srm -  Je consacre 100 % de mon temps à la collection, entre la gestion des expositions, les recherches et les ventes publiques. Nous n’avons aucune règle pour les achats, mais ils se font de manière régulière, tant en foire qu’aux enchères ou en galerie. Si l’un de nous n’est pas présent physiquement, nous n’achetons que si nous sommes d’accord tous les deux. Quoi qu’il arrive, il n’y a jamais de concession pour faire plaisir à L’autre.

Qu’est-ce qui guide vos choix ?

srm -  Ce sont uniquement les œuvres, les émotions qu’elles dégagent. Cependant, après le choc esthétique, la provenance est un vrai Critère De décision, surtout aujourd’hui.
jgb -  La date en référence à l’histoire et la rareté ont aussi leur importance. Selon ces critères, la valeur d’une pièce peut varier considérablement.

Vous prêtez régulièrement Des œuvres à des musées. Pourquoi ?

srm -  : Nous avons collaboré à ce jour à 67 expositions institutionnelles, Orsay en tête. C’est une des spécificités de notre collection. Notre premier prêt fut Fantin-Latour au Musée du Luxembourg en 2016, avec Le Toast ! Hommage à la Vérité, de 1865 (esquisse définitive du tableau détruit).
jgb -  Au début, nous étions force de proposition vis-à-vis des institutions. Aujourd’hui, elles nous sollicitent davantage. Être au contact des conservateurs et des commissaires est fondamental et très enrichissant.

Vous Avez également une politique de don ?

srm  - Oui, et c’est très important pour nous, car notre collection est une histoire de transmission. En 2021, nous avons fait notre premier don au Musée d’Orsay avec Falaise, circa 1870, d’Antoine Vollon. jgb -  Le don fait partie intégrante du rôle de collectionneur. Nous essayons de raconter une histoire, la plus cohérente et exigeante possible, le temps de notre passage sur terre. Nous ne voulons pas que cette collection s’enferme dans le concept bourgeois de « possession », et gardons en tête le côté « passeur ».

 

1973
Naissance de Jean-Gabriel de Bueil
1977
Naissance de Stanislas Ract-Madoux
2015-2016
Stanislas Ract-Madoux à l’École du Louvre en auditeur libre et au Sotheby’s Institute
2016
Création de la Collection de Bueil & Ract-Madoux (juillet)
2017
Jean-Gabriel de Bueil au conseil d’administration de la Samo (Société des amis du Musée d’Orsay et de l’Orangerie)
2019
Stanislas Ract-Madoux au conseil d’administration des Amis de la Fondation Dubuffet
2020
Exposition Mark Tobey, en collaboration avec la Galerie Jeanne Bucher et le Centre Pompidou, et publication « Mark Tobey. Tobey or notto be?, » Gallimard.
2021
Don du tableau « Falaise, » d’Antoine Vollon, au Musée d’Orsay
2022
Stanislas Ract-Madoux au conseil d’administration de la Fondation Dubuffet
2023
Dernière acquisition, une œuvre de Judit Reigl de 1958

Amis d’enfance 


Jean-Gabriel de Bueil et Stanislas Ract-Madoux se connaissent depuis l’enfance. Tous deux ont une maison de famille dans le Jura, à quelques kilomètres l’une de l’autre. Au-delà de leur intérêt pour l’art, ce sont leurs racines communes qui ont fait la force et la singularité de leur collection. « Le Jura a donné corps et ciment à notre histoire », estime Jean-Gabriel de Bueil, avec Courbet mais aussi Vuillard, originaires de cette région et figures tutélaires de la collection. Pour la petite anecdote, « c’est en faisant des recherches sur notre Vague de Courbet que j’ai découvert que mon aïeul, Alfred Bouvet, vivant à Salins-les-Bains, était un des mécènes du peintre », raconte Stanislas.
 

Quelques grands noms de leur collection
Delacroix, Degas, Courbet, Derain, Kupka, Picabia, Tobey, Tal Coat, Asse, Dubuffet, Reigl, Picasso mais aussi tous les Nabis (Vuillard, Bonnard, etc.), Kirkeby, les écoles belges, le néo-expressionnisme allemand, Delprat ou Molnár.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°768 du 1 octobre 2023, avec le titre suivant : Jean-Gabriel de Bueil et Stanislas Ract-Madoux : « Nous souhaitons raconter une histoire »

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